
Ce lundi 5 mai, la République centrafricaine a vu l’arrivée sur son sol d’un homme que beaucoup considèrent à la fois comme un criminel et un symbole : Armel Sayo, ex-ministre, ex-négociateur de paix, devenu chef rebelle. Une arrestation à Douala, une détention sous protection française, puis un transfert discret mais spectaculaire vers Bangui, l’histoire semble tout droit sortie d’un roman d’espionnage. Mais ne nous y trompons pas : ce n’est pas la justice qui s’est imposée ici, c’est la géopolitique.
Alors que la République centrafricaine se targue de renforcer l’État de droit, c’est dans une ambiance de soumission rampante à des intérêts étrangers que l’affaire Sayo éclate au grand jour.
Si l’on devait juger la vérité au poids des influences, ce procès serait déjà vicié.
Tout laisse penser qu’Armel Sayo ne sera pas jugé, mais utilisé.
Utilisé pour montrer les muscles d’un pouvoir qui, dans l’ombre, reste inféodé à ses parrains russes.
Utilisé comme monnaie d’échange dans un jeu de domination sécuritaire, où le glaive de la justice sert moins à trancher les abus qu’à écraser les ennemis désignés.
L’homme est certes loin d’être un innocent. À la tête de son groupe armé CMSPR, il est accusé de pillages, d’enrôlement d’enfants, de meurtres ciblés et de tentative de renversement du régime Touadéra.
Mais ce ne sont pas les preuves qui rythmeront ce procès, ce seront les rapports de force.
Justice aux ordres, État en laisse
Pendant ce temps, la justice centrafricaine, gangrenée par la peur, la précarité et l’instrumentalisation, n’offre aucun gage de neutralité. Les retards de procédure, le silence du parquet, l’absence d’observateurs judiciaires indépendants : tout concourt à préparer un simulacre judiciaire dont le verdict ne surprendra personne.
Ce n’est pas un procès, c’est un rituel politique. Et derrière ce théâtre, la main invisible du Kremlin et l’ombre d’une France embourbée dans ses ambivalences.
Tandis que Moscou verrouille le terrain militaire, sécuritaire et communicationnel à Bangui, Paris joue en silence la carte d’un repli honteux, incapable de défendre ouvertement un homme dont les liens avec des figures françaises comme Sarkozy ou Wauquiez sont désormais établis.
Résultat : la Centrafrique devient un champ de manœuvre où la justice n’est plus qu’un outil parmi d’autres de la domination néo-impériale.
Sayo est peut-être coupable, mais la justice l’est-elle encore ?
Ce procès aurait pu être une démonstration de souveraineté. Il aurait pu offrir à un peuple meurtri la vérité sur des années de guerre, de trahison, et de souffrance. Il aurait pu renforcer l’idée qu’aucun seigneur de guerre n’est au-dessus des lois.
Mais pour cela, encore aurait-il fallu une justice libérée des influences étrangères, indépendante de la Présidence, protégée des intérêts russes et capable de résister aux jeux d’alliances. Ce n’est manifestement pas le cas.
Le peuple centrafricain ne mérite ni pantomime ni vengeance
Au final, le procès d’Armel Sayo s’annonce moins comme un acte de justice que comme un rituel sacrificiel, destiné à légitimer un pouvoir assiégé, à offrir une victoire facile aux nouveaux maîtres de Bangui et à détourner l’attention des vrais problèmes : pauvreté extrême, insécurité persistante, et colonisation nouvelle, cette fois sans drapeau, mais bien réelle.
Le peuple centrafricain mérite mieux qu’un procès de façade. Il mérite une justice forte, indépendante, et digne de ce nom.
Tant que ce ne sera pas le cas, Sayo ne sera ni le premier, ni le dernier à tomber dans une arène judiciaire où la vérité n’a plus de poids.