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Un séisme secoue les institutions de la République démocratique du Congo : le ministre de la Justice, Constant Mutamba, est désormais officiellement poursuivi pour détournement de fonds publics, à la suite de la levée de son immunité parlementaire par l’Assemblée nationale. Un événement sans précédent, à la croisée de la justice et de la politique, qui interpelle sur l’état de la gouvernance dans le pays.

Tout a commencé par un rapport confidentiel du procureur général près la Cour de cassation, faisant état de soupçons graves : 19 millions de dollars auraient été décaissés de manière irrégulière, dans le cadre d’un marché public conclu de gré à gré, sans validation préalable, pour la construction d’un nouveau centre pénitentiaire à Kisangani. Un projet ambitieux inscrit dans le cadre de la modernisation du système carcéral national, mais dont l’exécution semble entachée de pratiques opaques.

La particularité de ce dossier réside dans l’origine des fonds : ils proviennent du FRIVAO (Fonds de Réparation pour les Victimes des Agressions d’Origine extérieure), un mécanisme financé notamment par les indemnisations versées par l’Ouganda, à la suite d’un arrêt historique de la Cour internationale de justice.

Dans une séance plénière sous tension, l’Assemblée nationale a voté à une large majorité la levée de l’immunité parlementaire de Constant Mutamba, ouvrant la voie à une instruction formelle du parquet général. Cette décision marque un tournant politique et institutionnel, tant il est rare qu’un ministre en fonction et de surcroît, celui en charge de la Justice soit mis en cause publiquement dans une affaire de détournement de fonds.

Dans un bref discours devant la plénière, Mutamba a reconnu « des erreurs de procédure » et a demandé pardon au peuple congolais, tout en niant toute intention frauduleuse : « J’ai agi dans l’urgence et dans l’intérêt général, mais peut-être en me trompant sur la méthode », a-t-il déclaré.

Le fait que le premier garant institutionnel de l’appareil judiciaire se retrouve sur le banc des accusés suscite un malaise profond au sein de la société civile et du monde judiciaire. Pour Maître Juliette Mbuyi, avocate au barreau de Kinshasa : « cette affaire expose crûment les contradictions d’un État de droit en construction, où la justice reste trop souvent instrumentalisée mais où les symboles finissent par se retourner contre ceux qui les manipulent ».

Le Centre de recherche pour la démocratie et la lutte contre la fraude (CREDFL) a, de son côté, appelé à une enquête totalement indépendante, réclamant la restitution des fonds et un audit complet du FRIVAO. L’organisation estime que : « l’impunité doit cesser, surtout lorsqu’elle émane des plus hauts sommets de l’État ».

Des enjeux politiques en toile de fond

Cette affaire intervient dans un climat politique délicat, à un an de la présidentielle, et alors que la majorité au pouvoir tente de renforcer son image de probité. La mise en cause de Mutamba figure montante de la coalition présidentielle, connu pour son activisme politique et ses discours tranchés pourrait fragiliser l’équilibre interne du gouvernement.

Des voix commencent d’ailleurs à évoquer un possible remaniement ministériel, voire une démission forcée du ministre pour préserver l’image du gouvernement.

Le parquet a annoncé l’ouverture imminente d’une instruction préliminaire, avant de décider d’un éventuel renvoi en justice. Si les faits sont avérés, Constant Mutamba encourt jusqu’à 15 ans de prison, selon le code pénal congolais. Il s’agirait alors d’un procès historique, avec pour enjeu la crédibilité d’un système judiciaire encore trop souvent accusé de deux poids, deux mesures.

Le dossier Mutamba, au-delà de l’aspect pénal, met en lumière les failles structurelles dans la gestion des fonds publics et la gouvernance en RDC. Il pose une question cruciale : qui garde les gardiens de la justice, quand ceux-ci deviennent eux-mêmes sujets à enquête ?

La suite dépendra de la rigueur de l’enquête, de l’indépendance du parquet, et de la volonté politique de faire de cette affaire un exemple de redevabilité publique ou un scandale de plus étouffé par les intérêts partisans.

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