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Par-delà les façades de la démocratie congolaise, une ombre plane encore sur Kinshasa : celle de Joseph Kabila Kabange, l’ancien président, stratège du silence, et maître d’un échiquier qu’il refuse de quitter. À six ans de la passation de pouvoir avec Félix Tshisekedi, la RDC continue de vivre sous l’emprise d’un système que Kabila a savamment verrouillé. Il n’est plus président, mais son réseau, sa fortune, et ses hommes tiennent encore le pays en otage.

Officiellement, Joseph Kabila a quitté le pouvoir en 2019 après une élection contestée mais pacifiquement conclue. Officieusement, il a organisé une transition de façade pour conserver ce qui compte vraiment : le pouvoir réel, celui qui se joue loin des projecteurs – dans les arcanes de l’armée, du Sénat, de l’économie extractive et des services de renseignement.

La cohabitation entre son FCC (Front Commun pour le Congo) et Félix Tshisekedi n’était rien d’autre qu’une mascarade institutionnelle, un pacte de survie mutuelle maquillé en accord démocratique. Le peuple congolais, lui, n’y a gagné qu’une nouvelle couche de confusion et d’impuissance.

L’architecture du contrôle : une toile d’araignée politique

Kabila a quitté le fauteuil présidentiel, mais il a conservé les leviers de pouvoir. Comment ? Grâce à une stratégie de quadrillage du système congolais : une majorité parlementaire muselante jusqu’en 2021, assurant le blocage des réformes de Tshisekedi.

Un Sénat conquis à coups de pressions, d’argent et de chantages, où il s’est réfugié lui-même comme sénateur à vie un titre purement honorifique pour camoufler une influence active. Des hommes-clés dans les forces de sécurité, l’armée et les services secrets, fidèles à sa personne plus qu’à l’État.

Une emprise opaque sur les ressources minières (notamment le cuivre et le cobalt), à travers des sociétés-écrans, des prête-noms, et des accords léonins signés dans l’opacité. Cette toile d’araignée tissée pendant 18 ans n’a jamais été démontée. Elle continue de drainer les richesses du pays hors de tout circuit public.

Félix Tshisekedi a fini par se libérer partiellement de l’étreinte du FCC en 2021 avec la création de l’Union sacrée. Mais à quel prix ? Ce grand ménage apparent n’a été possible qu’au prix d’un compromis avec les barons de l’ancien régime, recyclés en alliés opportunistes. Rien ne garantit que le système ait changé. Il s’est adapté. Et c’est là le génie noir du double jeu kabiliste : changer les apparences, jamais les structures.

L’actuel président se débat dans un marécage institutionnel et sécuritaire dont l’ancien maître détient encore les cartes les plus importantes.

Kabila, aujourd’hui tapi dans sa ferme de Kingakati, adopte une posture monacale, loin des caméras. Mais ce silence n’est pas synonyme de retraite. C’est une stratégie millimétrée. Il parle peu, agit en coulisses, surveille ses réseaux, attend son heure. Chaque apparition, chaque déplacement, chaque rumeur de retour politique est un message codé : je suis encore là.

Ce silence, lourd de calcul, sert un but : préserver ses acquis, garder son immunité, et pourquoi pas, préparer un retour ou un dauphin dans un futur proche. La République Démocratique du Congo n’est pas une démocratie. C’est une démocratie capturée, minée par un appareil d’État dévoyé, où l’alternance politique ne garantit pas la rupture systémique. Le pouvoir se transmet, mais ne se transforme pas. Les hommes changent, les réseaux demeurent.

Le peuple congolais, pourtant résilient, paie chaque jour le prix de cette duplicité : des infrastructures délabrées, un système de santé précaire, une insécurité chronique dans l’Est, et une richesse minière exploitée sans contrepartie pour les citoyens.

Pendant ce temps, les élites politiques continuent de jouer à cache-cache avec la vérité et la justice.

Joseph Kabila n’est pas un retraité politique. Il est un acteur actif de l’ombre, un symbole d’un pouvoir tentaculaire qui ne connaît ni morale, ni limites temporelles. Le véritable enjeu aujourd’hui pour la RDC n’est pas de changer les présidents, mais de briser les chaînes d’un système conçu pour survivre à tous les régimes.

À moins d’un sursaut collectif politique, citoyen, et international la RDC risque de rester piégée dans ce cycle d’alternances factices, où chaque nouveau pouvoir est une façade pour les anciens maîtres.

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