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À Zémio, dans le sud-est de la République centrafricaine, la République vacille. Depuis plusieurs jours, ce ne sont pas des rebelles venus du maquis qui affrontent l’armée nationale, mais des frères d’armes. Une situation ubuesque et tragique : les Forces armées centrafricaines (FACA) se battent contre la milice Azandé Ani Kpi Gbé, pourtant formée, armée et intégrée par les soins du gouvernement avec l’appui technique du tristement célèbre groupe Wagner. Le sang coule entre soldats d’un même drapeau. Et Bangui, elle, se mure dans un silence coupable.
 La milice Azandé Ani Kpi Gbé, composée en grande partie d’ex-combattants anti-balaka, avait été « réhabilitée » dans un élan d’intégration nationale, sous la houlette de la Russie et de ses mercenaires de Wagner.

Officiellement, il s’agissait de stabiliser les régions du sud-est. En réalité, cette intégration à la va-vite, sans cadre clair ni encadrement hiérarchique sérieux, a accouché d’une milice incontrôlable, nourrie de ressentiments ethniques et dopée à l’impunité.

Aujourd’hui, elle se retourne contre les FACA. Pourquoi ? Conflit de commandement, rivalités internes, ou règlements de comptes mal dissimulés ? Peu importe. Ce qui est certain, c’est que le gouvernement a créé un monstre qui lui échappe totalement.

Silence radio à Bangui : complicité ou lâcheté ?

Le gouvernement Touadéra n’a toujours pas réagi publiquement aux affrontements meurtriers de Zémio. Ce silence est plus qu’une erreur politique : c’est une gifle à la mémoire des soldats tombés, un crachat au visage des civils arrêtés arbitrairement ou pris entre deux feux. À défaut de gérer, on nie. À défaut de punir, on détourne les yeux.

Ce mutisme alimente les soupçons : le pouvoir est-il complice ? Ou simplement paralysé ? Il faut rappeler que c’est l’État centrafricain qui a ouvert grand les portes à Wagner, confiant à une société militaire privée la mission régalienne de sécuriser le pays. Résultat : Wagner forme, recrute, intègre… et commande, parfois sans en référer à l’autorité nationale.

À Zémio, les miliciens azandés agissent avec un sentiment de légitimité, précisément parce qu’ils savent qu’ils ont été adoubés par le pouvoir.

Wagner : pyromane et pompier

Le groupe Wagner, qui prospère sur les ruines de la souveraineté centrafricaine, joue un double jeu. Présenté comme sauveur par certains, il est aujourd’hui l’un des principaux architectes du chaos. Ses méthodes brutales, son mépris des chaînes de commandement traditionnelles, et son implication dans l’exploitation minière illégale ne sont plus des rumeurs.

Ce qui se passe à Zémio n’est que l’un des symptômes d’un système gangrené.

Pire encore : au lieu d’unir les forces armées, la présence de Wagner a fracturé l’armée nationale en zones d’influence, entre « pro-Wagner », « milices intégrées », et soldats professionnels.

Dans ces conditions, comment parler d’armée nationale ?

Le drame de Zémio pourrait bien n’être qu’un prélude. Si rien n’est fait, si aucune responsabilité n’est assumée, d’autres foyers de tension risquent d’éclater.

Car aujourd’hui, l’État ne contrôle plus ses propres hommes.

Le président Touadéra doit rendre des comptes. Il doit reconnaître publiquement l’échec de cette politique d’intégration bâclée. Il doit rappeler que le monopole de la violence légitime appartient à l’État, pas à des mercenaires russes, pas à des chefs de milices recyclés en officiers improvisés. Le pays a besoin de cohésion, pas d’une armée éclatée en factions rivales.

À Zémio, ce n’est pas seulement l’armée qui s’entredéchire. C’est l’idée même de souveraineté nationale qui s’effondre.

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