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Alors que la Commission Vérité Justice Réparation et Réconciliation (CVJRR) traverse encore une situation de quasi-paralysie administrative, marquée par la dissolution de son ancienne équipe, et de multiples balbutiements concernant la mise en place d’une équipe remplaçante, Héritier Brilland Ndakpanga, juriste, écrivain et expert en justice transitionnelle estime pour sa part que ce blocus relève d’un manque de volonté politique de la part du gouvernement. Dans cette longue interview où il n’a pas manqué de faire des analyses sur le fonctionnement de la Cour Pénale Spéciale (CPS), l’expert a aussi émis des propositions pouvant permettre de faire avancer l’agenda de la justice transitionnelle en Centrafrique. 

Afrique en plus : Il y a exactement trois mois, vous avez annoncé la sortie de votre dernier ouvrage intitulé « la République centrafricaine à l’épreuve de la justice transitionnelle : entre punition et réconciliation », que peut-on savoir des points développés dans cette œuvre scientifique ?

Héritier Brilland Ndakpanga : Je vous remercie infiniment pour cette opportunité que vous m’accordez afin de communiquer à propos de ma dernière publication. Pour répondre à votre question, je dirais que ce livre aborde la question des défis auxquels est confronté le processus de justice transitionnelle en RCA, et le plus grand enjeu, selon nous, est de réussir à concilier de façon harmonieuse la paix et la justice en vue de conduire à la réconciliation nationale. Vous conviendrez avec moi que pour un pays post-conflit comme la République centrafricaine, il n’est pas aisé de concilier les efforts de paix à ceux de la justice,  puisqu’à priori, les deux concepts peuvent paraitre comme des éléments inconciliables. Cependant, s’agissant de la thèse que nous avons défendue dans notre livre, ils ne peuvent être dissociables. C’est pourquoi nous appelons de tout vœu les acteurs à faire en sorte à ce que paix et justice puissent se mettre dans une même assiette afin de faire avancer l’agenda de la réconciliation nationale et lutter contre l’impunité.

Afrique en plus : Dans votre livre, vous avez consacré un chapitre entier à la Commission Vérité Justice Réparation et Réconciliation (CVJRR), or force est de constater que cette institution fait face depuis quelques temps à une situation de quasi-paralysie administrative, que vous inspire cette situation ?

Héritier Brilland Ndakpanga : Concernant la CVJRR, il faut dire que c’est l’un des mécanismes de justice transitionnelle en République centrafricaine, pour ne pas dire le principal. Elle a en effet pour mandat d’enquêter et d’établir la vérité par rapport aux grands évènements qui ont marqué la marche du pays, à commencer par le décès du Président Fondateur Barthélémy Boganda (29 mars 1959) jusqu’au 31 décembre 2019. Au-delà d’établir la vérité, la CVJRR a aussi pour but de situer les responsabilités et de conduire à la réparation des préjudices subis par les victimes. C’est en cela que sa mission est noble. Cette institution a vu le jour suite à une loi adoptée par l’assemblée nationale en Février 2020, promulguée plus tard par le président de la République bien avant que les commissaires de la CVJRR prêtent serment le 2 Juillet 2021. Le constat de paralysie administrative que vit cette institution est fait presque par tous les acteurs. Mais pour ce qui me concerne, j’estime que cela est la résultante de nombreux facteurs politique, économique, administratif dont l’on n’a pas pris le soin de corriger dès les premiers mois de cette institution, lesquels se sont finalement révélés difficilement gérables aussi bien pour le gouvernement centrafricain que pour les membres de ladite commission.

Il est à noter que les membres de la CVJRR ne se sont pas montrés à la hauteur de la confiance placée en eux ; ils n’ont pas su gérer avec responsabilité et ambition le mandat que le Peuple centrafricain leur a confié. Toutefois, justifier la dissolution de leur bureau par ces quelques ratés relèverait de la malhonnêteté intellectuelle, car dans cette situation, il y a des niveaux de responsabilité. Et l’avis qui est le nôtre est que le gouvernement n’a pas fait montre de volonté politique dans l’accompagnement de la CVJRR. L’Etat n’a pas accordé l’autonomie politique et financière  nécessaire à cette institution, or cet accompagnement devrait être nécessaire dans l’exécution de son mandat.

Enfin, nous estimons que la société civile (les organes de défense des droits de l’homme, l’association des victimes de crise, etc.) n’a pas joué son rôle d’avant-gardiste pour permettre de rappeler aux acteurs la noble mission de la CVJRR dans la quête de la vérité, la lutte contre l’impunité ainsi que la réparation. Il ne suffit pas de mettre seulement en place l’institution, decroiser les doigts pour que la vérité et la justice se décrètent, cela dépend de toutes les couches sociales.

Afrique en plus : Malgré la prorogation de son mandat, la Cour Pénale Spéciale (CPS) continue de faire l’objet de critiques. Etes-vous de ceux qui estiment que l’institution doit faire davantage pour permettre aux nombreuses victimes d’obtenir justice ?

Héritier Brilland Ndakpanga : La Cour Pénale Spéciale (CPS) a été créée à un moment où la RCA en a le plus besoin ; à une époque où l’impunité a été érigée en normes. Or, lors du Forum de Bangui, le Peuple centrafricain a souverainement décidé que la paix ne peut être conçue en RCA sur l’impunité, c’est bien ce qui traduit la philosophie « Plus jamais ça ». Ceci dit, les attentes vis-à-vis de la CPS sont très grandes. Nous pouvons justement comprendre que la CPS est de la famille des juridictions hybrides, qui, par nature, n’évoluent pas très rapidement en termes de procédures, et qui, généralement à la fin de leurs mandats, jugent très peu de dossiers, c’est à la décharge de la CPS ! Mais dans le cas centrafricain, où les besoins en termes de justice sont énormes, il est souhaitable que cette institution arrive à se démarquer des juridictions de sa nature pour pouvoir obtenir des résultats concrets, de nature à satisfaire la soif des victimes à accéder à leurs droits à la justice et à la réparation.

Afrique en plus : Pour finir, quelles sont vos propositions pour permettre de faire avancer l’agenda de la justice transitionnelle en République centrafricaine ?

Héritier Brilland Ndakpanga : Le gouvernement centrafricain doit faire preuve de volonté politique, laquelle constitue aussi bien pour la CVJRR que pour les autres instruments de justice transitionnelle un moteur dans la mise en œuvre effective de leurs mandats. Ensuite, il faut réellement  faire de la lutte contre l’impunité une cause nationale majeure. Pour cela, il faut la mobilisation de toutes et tous.

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