
Après huit années à la présidence de la Commission de l’Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat quitte son poste avec un héritage contrasté. D’un côté, il a renforcé la présence diplomatique de l’UA sur la scène mondiale, en particulier avec l’intégration historique de l’organisation au sein du G20. De l’autre, son mandat a été marqué par l’incapacité de l’UA à s’imposer comme un acteur décisif face aux crises qui ravagent le continent.
Alors que l’Afrique continue de faire face à des défis sécuritaires, économiques et politiques de grande ampleur, quel bilan peut-on réellement tirer de ses deux mandats successifs ?
L’une des plus grandes victoires de Moussa Faki Mahamat restera sans aucun doute l’admission de l’Union africaine en tant que membre permanent du G20 en 2023. Cet événement a marqué une avancée stratégique majeure pour le continent, qui réclame depuis longtemps une plus grande voix dans la gouvernance mondiale. Avec cette intégration, l’UA a officiellement accédé à la table des grandes puissances économiques, ouvrant la voie à une meilleure représentation des intérêts africains dans les décisions internationales.
Sous sa présidence, l’UA a également consolidé ses relations avec des partenaires majeurs tels que l’Union européenne, les Nations unies et la Chine. La coopération avec l’UE s’est traduite par des engagements financiers accrus pour le développement du continent, notamment en matière d’infrastructures et d’éducation.
La mise en place progressive de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), lancée en 2018, est un autre succès à mettre à son actif. Cet accord vise à renforcer le commerce intra-africain et à stimuler l’intégration économique du continent, un projet ambitieux qui, malgré des lenteurs administratives et des résistances politiques, représente un pas vers l’unité économique africaine.
« L’échec du leadership face aux crises africaines »
Malgré ces avancées, Moussa Faki Mahamat quitte son poste sur un constat amer : l’Union africaine a échoué à peser dans la résolution des conflits majeurs qui secouent le continent.
Soudan : une guerre civile hors de contrôle, depuis avril 2023, le Soudan est plongé dans une guerre civile entre l’armée et les Forces de soutien rapide (FSR). L’UA, malgré des tentatives de médiation, s’est montrée incapable d’influer sur le cours du conflit. Ni les cessez-le-feu annoncés ni les sanctions brandies par l’organisation n’ont permis de mettre un terme aux violences, laissant place à un désastre humanitaire et sécuritaire.
Le Sahel : une zone de plus en plus instable, l’instabilité dans la région sahélienne s’est aggravée sous son mandat, avec une succession de coups d’État militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Loin de condamner fermement ces ruptures démocratiques, l’UA a souvent tardé à réagir, donnant l’image d’une organisation impuissante.
L’expulsion des forces françaises et la montée en puissance de nouvelles alliances militaires avec la Russie et le groupe Wagner ont accentué la marginalisation de l’UA dans la gestion sécuritaire de la région. Alors que les insurrections djihadistes se poursuivent, l’Union africaine semble avoir perdu de son influence face à de nouveaux acteurs géopolitiques.
Le cas du Tchad : un silence coupable ?, originaire du Tchad, Moussa Faki Mahamat s’est retrouvé dans une position délicate lorsqu’en 2021, Mahamat Idriss Déby, fils du défunt président Idriss Déby Itno, a pris le pouvoir après un coup d’État militaire. Si un rapport de l’UA dénonçant des violations des droits humains et un manque de démocratie a bien été produit, il n’a jamais été suivi d’actions concrètes. Ce silence coupable a jeté une ombre sur son impartialité et soulevé des critiques sur une gestion sélective des crises africaines.
« Une UA affaiblie par ses propres dysfonctionnements »
Au-delà des conflits, c’est le fonctionnement même de l’Union africaine qui pose question. Moussa Faki Mahamat a lui-même pointé du doigt les faiblesses structurelles de l’organisation, notamment :
Le manque d’unité entre les États membres : de nombreux dirigeants africains n’hésitent pas à contourner ou ignorer les décisions de l’UA, réduisant son poids politique.
La dépendance financière vis-à-vis des bailleurs étrangers : le budget de l’UA est encore largement financé par l’Union européenne, la Chine et d’autres partenaires extérieurs, limitant sa souveraineté.
Une bureaucratie lourde et inefficace : les lenteurs administratives entravent la mise en œuvre des réformes et initiatives prises lors des sommets annuels. Cette situation a empêché l’UA de jouer un rôle moteur dans la résolution des crises, la rendant parfois inaudible face aux grandes puissances et aux organisations régionales comme la CEDEAO ou la SADC.
Le passage de Moussa Faki Mahamat à la tête de l’Union africaine restera celui d’un diplomate habile, capable d’élever l’organisation sur la scène internationale, mais aussi d’un dirigeant confronté aux limites d’une institution souvent inefficace face aux urgences africaines.
Son successeur devra faire face à de nombreux défis : dont celui de redonner à l’UA une crédibilité en matière de gestion des conflits. Réduire la dépendance financière aux partenaires extérieurs. Accélérer la mise en œuvre de projets économiques comme la ZLECAf.
Moussa Faki Mahamat part avec les honneurs, mais son bilan reste inachevé. Le rêve d’une Afrique unie, forte et souveraine demeure un objectif lointain. L’Union africaine a encore un long chemin à parcourir pour devenir une organisation capable de peser autant sur le destin du continent que sur la scène internationale.