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Dans une lettre ouverte, le collectif des intellectuels Centrafricain de l’Europe, demande au Président Faustin Archange Touadera, un dialogue avec les forces vives de la Nation pour préserver la paix. A lire l’intégralité du courrier.

À Son Excellence Monsieur le Président de la République, Pr. Faustin-Archange TOUADÉRA, Chef de l’État, Chef du Gouvernement, Présidence de la République Centrafricaine

Guyane Française, le 19 février 2025

Objet : Appel à la préservation de l’unité nationale

Excellence, Monsieur le Président,  C’est avec un profond respect et un sens élevé du devoir que nous, jeunes intellectuels de la diaspora centrafricaine en Europe, aux États-Unis, en Afrique et en Asie, vous adressons cette lettre, non par animosité ni par opposition, mais par responsabilité citoyenne. Nous portons la voix d’une génération lucide, qui observe, analyse et réagit face aux maux qui entravent l’épanouissement de notre chère patrie. Si nous nous tournons vers vous aujourd’hui, c’est parce que la situation nationale exige une réflexion sérieuse et des décisions courageuses. 

Depuis son accession à l’indépendance en 1960, notre pays ne cesse de plonger dans un cycle infernal d’instabilité politique où coups d’État, rébellions et crises militaro-politiques se succèdent. En effet, comme l’atteste Dukhan (2016), “la RCA illustre un cas d’école où l’absence de gouvernance stable a alimenté une dynamique de chaos perpétuel.   En effet, dès 1966, (Jean-Bédel Bokassa) renverse (David Dacko) sous prétexte de restaurer l’ordre, avant de sombrer dans un despotisme fantasque qui culmine avec son autoproclamation en empereur en 1976. Toutefois, loin de rétablir une stabilité durable, son éviction en 1979, orchestrée par l’opération Baracouda, ne marque que le début d’une longue série de gouvernements précaires et de coups d’État successifs.

En 1981, (André Kolingba) profite des tensions ethniques et du délitement économique pour s’emparer du pouvoir, sans parvenir à moderniser un pays déjà affaibli.  Ainsi, malgré l’introduction du multipartisme en 1993 avec l’élection (d’Ange-Félix Patassé), notre pays demeure otage d’un schéma de crises récurrentes, aggravées par une gouvernance inefficace et un climat de défiance généralisée. En 2003, (François Bozizé) justifie son putsch en dénonçant le clientélisme et la mauvaise gestion de (Patassé), mais son règne ne fera que reproduire les erreurs du passé. Pire encore, son exclusion systématique de nos compatriotes musulmanes du Nord alimentera l’insurrection de la Séléka en 2013, précipitant le pays dans une guerre civile destructrice. Comme le souligne McGowan (2003), « les régimes où l’alternance est inexistante sont davantage exposés à des insurrections violentes et à une militarisation de la politique.  Or, si la politique est malade, l’économie l’est tout autant. En effet, malgré ses richesses naturelles (diamants, or, uranium), notre pays demeure l’un des pays les plus pauvres du monde. La Banque mondiale (2023) estime que 60 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Le paradoxe est d’autant plus criant que les élites dirigeantes ont, depuis des décennies, détourné les revenus de ces ressources au profit d’intérêts privés, plongeant la majorité des citoyens dans la misère. De surcroît, les ajustements structurels proposés par le FMI dans les années 1980-1990, soit une décénie, loin de relancer l’économie, ont fragilisé l’agriculture et laminé les services publics essentiels. Kossele et Njong (2020) démontrent ainsi que « la dépendance de la RCA aux exportations de diamants n’a bénéficié qu’à une minorité et a alimenté la fuite des capitaux”. 

Par ailleurs, la guerre civile de 2013 a porté le coup de grâce aux infrastructures du pays : selon la BAD (2021), 75 % des écoles et hôpitaux en zones rurales sont détruits ou fermés. Les jeunes, privés d’accès à une éducation de qualité et sans perspectives d’avenir, n’ont souvent d’autre choix que l’exil ou l’enrôlement dans des groupes armés. Dès lors, comment espérer bâtir une nation prospère lorsque sa jeunesse est condamnée à fuir ou à survivre dans des conditions indignes ? 

Excellence, Monsieur le Président,  Le temps est venu d’écrire une nouvelle page de notre histoire. L’alternance politique en Centrafrique a toujours été un défi majeur, mais vous avez aujourd’hui l’opportunité de devenir le premier président démocratiquement élu à céder le pouvoir de manière pacifique depuis André Kolingba. En posant ce geste, vous inscririez votre nom dans l’histoire non pas comme un dirigeant ordinaire, mais comme un véritable réformateur, un homme d’État soucieux de l’avenir de son pays. 

Le renouveau politique en Centrafrique ne peut se faire qu’à travers un processus démocratique ouvert et inclusif, permettant à d’autres fils et filles du pays d’apporter leur contribution. Des personnalités comme, (Crépin Mboli-Goumba, Firmin Ngrébada, Henri Marie Dondra, Felix Mouloua, Dominique Yandocka, Simplice Sarandji, Martin Ziguélé, Amine Michel), et bien d’autres ont également leur rôle à jouer. Notre nation a besoin d’un souffle nouveau, d’une gouvernance fondée sur la transparence et la justice sociale.  Excellence, le pouvoir est une responsabilité, mais aussi un passage.

Nous sommes d’une génération qui observe, analyse et réagit. Nous avons grandi dans l’ombre de l’instabilité et nous ne voulons pas reproduire les erreurs du passé. Nous voulons croire en un avenir où la Centrafrique peut être un pays où il fait bon vivre, un pays où nous avons envie de revenir et de contribuer au développement. Mais cela ne sera possible que si une transition politique apaisée s’amorce. 

Excellence, Monsieur le Président,  Nous ne pouvons ignorer que votre accession au pouvoir en 2016 avait suscité un espoir, celui d’une gouvernance plus stable et d’un redressement progressif. Cependant, force est de constater que la RCA demeure prisonnière des mêmes travers : un pouvoir ultra-centralisé, une classe politique divisée et une jeunesse marginalisée. Or, comme l’histoire nous l’enseigne, nul ne saurait se cramponner éternellement au pouvoir. Si Bokassa, Kolingba,

Patassé et Bozizé ont tous cru pouvoir défier le cours du temps, ils ont été balayés par l’inéluctable mouvement de l’histoire.  Dès lors, vous avez aujourd’hui une opportunité inédite : entrer dans l’histoire non comme un dirigeant qui s’accroche, mais comme un chef d’État visionnaire qui choisit la voie de la transition pacifique. Le contexte actuel vous place face à un choix déterminant : maintenir une posture rigide, au risque d’ouvrir la porte à de nouvelles tensions, ou inscrire votre nom comme celui qui aura enfin brisé le cycle des transitions chaotiques. 

Nous savons que votre entourage vous pousse à croire en une adhésion populaire unanime. Pourtant, vous le savez mieux que quiconque : les manifestations en votre faveur ne sont que des mises en scène orchestrées par ceux qui, tapis dans l’ombre du pouvoir, cherchent avant tout à préserver leurs privilèges. Ces hommes ne pensent ni à l’intérêt du pays ni à celui du peuple ; ils ne défendent que leurs intérêts personnels.  Aussi, nous vous adressons cet appel, non en adversaires, mais en citoyens soucieux de l’avenir de leur nation.

Notre pays a besoin d’un souffle nouveau, d’une gouvernance tournée vers l’intérêt général, et surtout d’une alternance politique légitime et apaisée.  Excellence, ce rappel historique n’a pas pour objectif de raviver les plaies du passé, mais de souligner une constante qui nous frappe : chaque cycle de crise est né d’un manque de gouvernance inclusive et d’une volonté de conservation du pouvoir à tout prix. Ceux qui ont refusé d’écouter leur peuple ont vu l’histoire les emporter. Il est temps de rompre avec ce schéma funeste et d’emprunter une voie nouvelle, celle d’une transmission démocratique du pouvoir  « Nous VOULONS UN CHANGEMENT », et ce changement passera par la décision que vous prendrez dans les jours à venir. Vous avez aujourd’hui le pouvoir de marquer l’histoire en acceptant de céder la place à une nouvelle génération de dirigeants compétents et engagés.  Excellence, le choix qui vous incombe est lourd, mais il est aussi une opportunité : celle d’ouvrir une nouvelle ère pour la Centrafrique, celle d’être un exemple pour les générations futures.

La grandeur d’un dirigeant ne réside pas dans la durée de son mandat, mais dans l’héritage qu’il laisse.  Excellence, l’histoire vous regarde. L’Afrique vous observe. Le monde attend de voir si la Centrafrique saura, enfin, briser le cycle infernal des transitions chaotiques et violentes. Vous avez la possibilité d’être celui qui initiera cette transformation en démontrant que l’alternance est non seulement possible, mais souhaitable pour la stabilité et la prospérité du pays.  Nous vous exhortons, avec tout le respect dû à votre fonction, à prendre la mesure du moment historique qui s’offre à vous. Le peuple centrafricain, dans sa majorité silencieuse, aspire à un changement véritable, à une démocratie réelle où chaque citoyen aura sa place et son mot à dire. Laisser la place à une nouvelle génération de dirigeants ne serait pas une abdication, mais un acte de grandeur et de sagesse. 

Excellence, votre place dans l’histoire dépendra du choix que vous ferez. Voulez-vous être perçu comme un homme d’État qui a su transcender les intérêts partisans pour le bien de son peuple, ou comme un dirigeant parmi tant d’autres qui aura résisté au changement jusqu’à la dernière heure ? Que l’histoire retienne que vous avez su écouter la voix de votre peuple, et que vous avez choisi de passer le flambeau pour le bien de la nation.  Dans l’attente d’un avenir plus radieux pour notre chère Centrafrique, nous vous prions d’agréer, Excellence, l’expression de notre très haute considération. 

Les jeunes intellectuels Centrafricain d’ici et d’ailleurs : Moustapha ALADJI -Docteur en Économie, enseignant chercheur (Guyane Française, Amérique du Sud, Europe). Charles MASSI, Économiste, porte-parole du collectif TOUCHE PAS À MA CONSTITUTION (Sénégal, Afrique). Hocine B. MBOLIDI, Financier/spécialiste en data Center (Etats Unis, Amérique)  

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