
Dans une interview exclusive accordée à la Rédaction Afrique en (A+), Dr Charles MASSI (CM), centrafricain de la diaspora et observateur de la vie publique de Centrafrique, dresse un bilan sombre de la vie sociale et politique de la RCA. Une analyse qui intervient quelques jours après l’investiture de l’actuel Président Faustin Archange TOUADERA pour un troisième mandat.
A + : Merci de nous accorder cet entretien. Nous souhaiterions aborder avec vous les grandes questions d’actualité qui concernent la République Centrafricaine (RCA), aussi bien sur le plan politique, judiciaire que diplomatique. Voici les thématiques que nous aimerions explorer avec vous
A+ : Tout d’abord, quel regard portez-vous sur l’environnement socio-politique de la RCA au cours de ces deux dernières années ?
CM : Je vous remercie pour l’entretien que vous m’accordez afin d’échanger sur la situation économique et socio-politique de la RCA. Avant de m’exprimer, je voudrais prendre une minute de silence en mémoire des victimes de la tragédie survenue le 25 juin au Lycée Barthelemy BOGANDA.
Effectivement, l’environnement socio-politique de la République Centrafricaine reste marqué par une fragilité structurelle. Malgré des initiatives de pacification avec le tout dernier accord, la gouvernance reste dominée par des tensions politiques, des crises sécuritaires récurrentes, et un climat de méfiance entre institutions et citoyens. On assiste à un rétrécissement de l’espace politique, démocratique et politiques à des fins partisanes. Cela compromet l’émergence d’un État de droit véritablement inclusif.
A+ : Vous résidez à l’étranger depuis plusieurs années. Avec le recul que cela vous donne, et au regard de la gestion politique du pays depuis la crise de 2013 ayant conduit à l’investiture du Président Faustin-Archange Touadéra, estimez-vous que la RCA est véritablement engagée sur la voie du développement, ou que des efforts significatifs restent encore à fournir ?
CM : Le mot « développement » suppose une vision, une stratégie et une volonté politique ferme. Or, en RCA, si l’on observe quelques projets structurants, ils restent insuffisamment ancrés dans une dynamique nationale cohérente. L’assistanat extérieur domine encore largement la gestion des politiques publiques. Le pays ne pourra véritablement se développer que s’il renoue avec la légitimité de ses institutions, la sécurité des citoyens et une gestion transparente des ressources du sol et du sous-sol centrafricain. La RCA a adopté récemment un Plan National de Développement, nous espérons qu’il portera ses fruits. Les centrafricains doivent s’en approprier de cet instrument.
A+ : L’actualité judiciaire récente est marquée par des informations contradictoires autour de l’arrestation de M. Armel Sayo, une figure emblématique et controversée actuellement détenue au camp DEROUX à Bangui. Quelle analyse faites-vous de ces controverses ? Cette situation ne vous rappelle-t-elle pas, à certains égards, celle de votre feu père ?
CM : Evidemment, sur plusieurs points. Le brouhaha médiatique pour ne pas dire désordre informationnel, l’absence de communication officielle claire, l’opacité judiciaire, rappellent tragiquement la disparition de mon père, Charles MASSI. M. Armel SAYO a été arrêté au Cameroun et remis aux autorités centrafricaines. Nous sommes dans un contexte où la justice semble instrumentalisée, et où les droits fondamentaux peuvent être suspendus sous couvert de sécurité nationale. Cette similitude doit nous alerter individuellement et collectivement sur les dangers d’un système répressif au détriment de la vérité et de la réconciliation.
A+ : Juridiquement, si la disparition (au sens de décès) d’Armel Sayo était avérée, quelles en seraient, selon vous, les répercussions sur la justice centrafricaine, ainsi que sur les relations diplomatiques, notamment avec le Cameroun ?
CM : Je ne souhaite pas qu’un tel scenario ne se produise dans notre pays, la RCA. Ce serait une nouvelle entorse grave à la justice et un désaveu cinglant pour l’État de droit. Cela porterait une atteinte grave à l’image de notre pays à l’international, notamment auprès de nos partenaires comme le Cameroun, la France et bien d’autres. N’oublions pas que M. Armel SAYO est aussi français d’origine centrafricaine. Diplomatiquement, cela pourrait tendre davantage les relations sous régionales, et aggraver l’isolement politique de la RCA.
Lors de l’une de ses sorties, Monsieur Maxime BALALOU a confirmé que M. Armel SAYO serait en vie. Vous imaginez, un seul instant, le contraire de cette sortie.
M. Fidèle NGOUANDJIKA avait déclaré lors d’une sortie sur la radio nationale, sur le cas Charles MASSI, qu’il serait porté disparu. Lors d’un de ses Live, il a confirmé que c’est l’ancien Président François BOZIZE qui l’a tué. Sa tête aurait été ramenée au Palais lors d’un Conseil des Ministres.
Une telle issue fragiliserait aussi tout le discours officiel sur la réconciliation et la justice transitionnelle. La crédibilité de la communication gouvernementale sera affectée.
A+ : En ce qui concerne les prochaines élections, un bras de fer s’installe entre l’opposition et le pouvoir autour de l’organisation d’un dialogue national. Quelle est, selon vous, la crédibilité de ces futures échéances électorales dans un tel climat ?
CM : La crédibilité d’une élection repose sur la transparence du processus, la liberté d’expression, et la neutralité des institutions. Or, le climat actuel marqué par la défiance, l’exclusion de certaines voix et un dialogue national avorté ne permet pas d’envisager sereinement une élection inclusive et apaisée. Il est urgent de restaurer la confiance, notamment en mettant en place des garanties pour une compétition équitable. Cela passe par l’ouverture d’un dialogue franc et sincère avec toutes les parties prenantes à ces échéances. Récemment, le Président de l’ANE a reçu la classe politique de l’opposition regroupée dans l’UFDO. Est-ce que cette frange de l’opposition représente toute la classe politique centrafricaine ?
A+ : L’opposition regroupée au sein du Bloc Républicain pour la Défense de la Constitution (BRDC) et le pouvoir s’accusent mutuellement de blocage et de manque de sincérité dans le processus de dialogue. Depuis la diaspora et à la lumière des informations dont vous disposez, comment analysez-vous cette situation ?
CM : Ces accusations illustrent l’absence de culture du compromis dans notre espace politique. Chacun accuse l’autre de manipulation sans chercher une médiation constructive. La diaspora, bien que souvent tenue à l’écart, observe avec inquiétude cette polarisation qui freine toute issue durable. Il est temps d’un sursaut patriotique et d’un cadre de concertation sincère, hors de tout calcul électoral. La RCA doit être au cœur de toutes nos préoccupations nationales.
A+ : Le Président TOUADERA a récemment lancé un appel à tous les Centrafricains de la diaspora, les invitant à s’impliquer activement dans la reconstruction nationale. Êtes-vous en phase avec cet appel ? Y voyez-vous une opportunité concrète d’action ?
CM : L’appel du Président TOUADERA peut être salué dans son intention. Mais il faut que cet appel soit suivi d’actes concrets : reconnaissance administrative des Centrafricains de l’étranger, facilitation des investissements, représentation institutionnelle réelle, etc. La diaspora a des compétences, des idées, et une vision moderne du pays. Elle ne demande qu’à contribuer, mais dans un cadre clair, sécurisé et respectueux.
A+ : Un autre sujet d’actualité : l’accord de paix signé entre deux groupes armés, l’UPC et les 3R. Pour le pouvoir, il s’agit d’une avancée dans la quête de la paix. Mais pour d’autres, notamment au sein de la diaspora, cela représente une forme de légitimation de l’impunité. Quelle est votre position sur cet accord ?
CM : Tout accord de paix est, en soi, une avancée. Mais si ces accords se font sans justice ni mémoire des victimes, ils renforcent l’impunité. La paix ne doit pas être une prime à la violence. Les responsables d’exactions doivent répondre de leurs actes, même dans un cadre de justice transitionnelle. L’accord n’a de sens que s’il s’inscrit dans une volonté nationale de désarmement, de réintégration et de vérité. Il ne peut y avoir la paix sans la justice.
A+ : Cet accord a été signé sous l’égide du Tchad, ce qui a suscité une vive réaction d’une partie de la diaspora, notamment en France, dénonçant ce qu’ils perçoivent comme une ingérence du Tchad dans les affaires internes de la RCA. Pensez-vous qu’une paix durable est envisageable sans l’implication de pays voisins comme le Tchad ?
CM : Non, il est illusoire de penser une paix durable sans nos voisins. Toutefois, leur implication doit se faire dans le respect strict de notre souveraineté. Le Tchad, acteur majeur de la sous-région, peut jouer un rôle de facilitateur, mais il doit éviter toute posture de domination, d’ingérence ou d’imposition. La paix en RCA ne pourra se construire que dans un équilibre sincère entre les intérêts nationaux et la coopération régionale.
A+ : Enfin, Monsieur Charles MASSI, de tous les sujets évoqués dans cet entretien, lequel vous semble le plus marquant ? Et comment envisagez-vous, personnellement, votre contribution au processus de reconstruction et de réconciliation en RCA ?
CM : Le sujet de la justice me touche particulièrement, non seulement à titre personnel avec l’affaire Charles MASSI, mais en tant que fondement de toute reconstruction nationale. Sans justice, il n’y a ni confiance, ni cohésion, ni avenir. C’est ce que nous vivons avec les multiples crises militaro-politiques à répétition.
Ma contribution s’articule autour de la sensibilisation, de l’accompagnement citoyen, et de la mise en réseau des Centrafricains engagés pour le changement. La reconstruction passe aussi par une mobilisation de la diaspora autour de projets concrets, soutenables, éthiques et durables.
A+ : Nous vous remercions pour votre disponibilité et pour l’éclairage que vous apportez à nos lecteurs sur ces enjeux cruciaux pour l’avenir de la République Centrafricaine.
CM : Je vous remercie de l’opportunité que vous m’offrez via cette tribune.