
Depuis la naissance de l’Alliance des États du Sahel (AES) formée par le Mali, le Burkina Faso et le Niger l’Afrique de l’Ouest assiste non pas à une renaissance souveraine, mais à une glissade autoritaire à peine voilée. Derrière les discours musclés, les drapeaux brandis et les slogans anti-impérialistes, s’installe une triple réalité : la répression politique, l’effondrement de l’État de droit, et une crise multidimensionnelle que le vernis militaire ne parvient plus à dissimuler.
Officiellement, les juntes sont en place “temporairement” pour restaurer l’ordre.
En réalité, elles s’enracinent. Les promesses de retour à l’ordre constitutionnel s’éloignent comme des mirages sahariens.
Au Mali, la date des élections a été repoussée sans nouvelle feuille de route. Au Burkina Faso, Ibrahim Traoré refuse tout engagement clair sur un calendrier. Au Niger, le CNSP gouverne par décret, tandis que les partis politiques sont démantelés ou intimidés.
Dans chacun des trois pays, les voix critiques sont étouffées. Des figures de la société civile comme Daouda Diallo au Burkina ou Ras Bath au Mali sont harcelées ou emprisonnées. À Niamey, des dizaines de membres de l’ancien gouvernement sont détenus sans jugement, dans des conditions souvent opaques.
Toute contestation pacifique est assimilée à une “trahison” ou à une “collusion avec l’ennemi”.
Liberté de la presse : un silence imposé
L’interdiction de TV5 Monde par la Haute Autorité de la Communication malienne n’est que la dernière illustration d’un glissement inquiétant. RFI, France 24, Jeune Afrique, LCI, Le Monde : la liste noire s’allonge. À cela s’ajoute l’autocensure des médias locaux, terrorisés par des convocations, suspensions ou agressions. Dans l’AES, informer est devenu un acte de résistance.
Les trois pays ont claqué la porte de la CEDEAO, de l’UEMOA, et rompu leurs accords avec l’OIF ou certaines agences de l’ONU. Résultat : aides suspendues, coopération gelée, échanges commerciaux fragilisés. L’AES s’enferme dans une autarcie stratégique qui affaiblit plus qu’elle ne renforce. Même les médiations régionales (Algérie, Togo, etc.) sont écartées avec arrogance.
Les institutions judiciaires ont été vidées de leur substance. Juges marginalisés, Cours constitutionnelles muselées, avocats menacés. À Bamako, l’organe de transition légifère sans contrôle. À Ouagadougou, des arrestations “préventives” se font sans mandat. À Niamey, les accusations de trahison remplacent tout débat contradictoire. Les constitutions sont désormais accessoires.
Les économies de l’AES sont en chute libre. Inflation galopante, blocage de projets d’investissement, rareté des devises, exode des cadres qualifiés. Les sanctions de la CEDEAO ont creusé les déficits. Mais la faute n’en revient pas qu’à l’extérieur : mauvaise gouvernance, opacité budgétaire, corruption persistante et dépenses sécuritaires incontrôlées asphyxient les caisses publiques.
Les communiqués militaires affirment victoire sur victoire. Mais les faits contredisent la propagande : les groupes djihadistes contrôlent toujours de vastes territoires au Sahel central. Le Centre et le Nord du Mali, l’Est du Burkina, le Nord Tillabéri au Niger sont devenus des zones grises, désertées par l’État. Le nombre de déplacés internes ne cesse d’augmenter. Les populations vivent entre deux feux, sans protection, sans espoir.
Manipulation informationnelle et propagande numérique
Les pouvoirs militaires ont perfectionné la guerre informationnelle. Des armées de “cyber-patriotes”, souvent organisées, orchestrent des campagnes contre les ONG, les journalistes, les intellectuels critiques. Le discours patriotique est martelé sur les chaînes publiques, repris sur TikTok, Twitter et Facebook, tandis que les voix indépendantes sont qualifiées de “traîtres” ou “espions”.
L’AES prétend parler au nom des peuples sahéliens. Pourtant, aucun référendum, aucune consultation populaire n’a jamais légitimé cette alliance militaire. Il ne s’agit pas d’une confédération, encore moins d’une communauté politique mais d’un pacte de survie entre régimes isolés. L’union est conjoncturelle, défensive, et idéologiquement fragile.
La lutte pour la souveraineté est légitime. Mais une souveraineté qui rime avec silence, exclusion et violence n’est qu’un déguisement. Le peuple sahélien n’a pas besoin de drapeaux dans les rues, mais de pain, de justice, de soins, d’éducation et de voix.
Tant que l’AES restera une alliance entre officiers plutôt qu’entre citoyens, elle ne construira rien. Ni nation. Ni paix. Ni avenir.