
Au cœur de l’Afrique, la République Centrafricaine (RCA), pays riche en forêts tropicales mais confronté à d’immenses défis économiques, mise sur un atout inattendu pour son développement : le crédit carbone. Cette initiative ambitieuse vise à transformer son capital naturel en levier de croissance durable, en protégeant ses vastes étendues boisées et en générant des revenus indispensables.
Un Trésor Vert Sous Pression
La RCA est couverte à plus de 50 % par la forêt du bassin du Congo, le deuxième plus grand poumon vert de la planète après l’Amazonie. Ces forêts constituent un puits de carbone essentiel dans la lutte contre le changement climatique. Cependant, comme de nombreux pays en développement, la Centrafrique est tiraillée entre la nécessité d’exploiter ses ressources pour survivre et l’impératif de les préserver. La déforestation, due à l’agriculture sur brûlis, l’exploitation forestière parfois non régulée et la demande en énergie (charbon de bois), menace cet écosystème précieux.
Face à ce constat, le gouvernement centrafricain, avec le soutien de partenaires techniques et financiers internationaux, a décidé d’emprunter la voie du crédit carbone. L’objectif est clair : monétiser la préservation de ses forêts en vendant des crédits certifiés à des entreprises ou des pays cherchant à compenser leurs émissions de gaz à effet de serre.
Le Mécanisme : Protéger pour Gagner
Le principe du crédit carbone forestier, souvent encadré par des standards internationaux comme REDD+ (Réduction des Émissions dues à la Déforestation et à la Dégradation des forêts), est le suivant : la RCA s’engage à réduire la déforestation sur son territoire par rapport à un scénario de référence (un « business as usual »). Chaque tonne de CO2 non émise grâce à ces efforts de conservation donne droit à un crédit carbone, qui peut ensuite être vendu sur le marché volontaire du carbone.
Les fonds générés par ces ventes doivent être réinvestis selon des principes de partage des bénéfices. Une partie est destinée à l’État pour financer des politiques de conservation et de développement durable, tandis qu’une autre doit revenir directement aux communautés locales et autochtones, premières gardiennes de la forêt. L’enjeu est de leur offrir des alternatives économiques viables à la déforestation.
L’Intégration du crédit carbone dans le PND 2024-2028
Le PND de la RCA, estimé à 12,5 milliards de dollars, comprend 58 projets prioritaires dans des secteurs clés comme l’agriculture, les mines, l’énergie et les infrastructures. Le « panier du crédit carbone » vise à compléter les financements traditionnels en valorisant les projets qui génèrent des réductions d’émissions de CO₂. Par exemple :
Reforestation et gestion durable des forêts : La RCA dispose d’un potentiel forestier inexploité, mais les crédits carbone liés à la protection des forêts tropicales sont souvent critiqués pour leur manque de rigueur scientifique.
Développement des énergies renouvelables : Le pays ambitionne d’augmenter l’accès à l’électricité à 40 % de la population d’ici 2028, notamment via l’hydroélectricité.
Cependant, les défis sont nombreux. Une étude récente publiée dans Science révèle que plus de 90 % des crédits carbone issus de projets de protection des forêts tropicales pourraient être inefficaces en raison de méthodologies peu rigoureuses.
Les Défis d’une Ambition Légitime
Si la perspective est séduisante, le chemin vers un marché du carbone fructueux et équitable est semé d’embûches. La RCA doit relever plusieurs défis de taille :
La Gouvernance et la Transparence : Dans un contexte post-conflit encore fragile, garantir une gestion irréprochable des futurs revenus est primordial. La mise en place de systèmes de suivi transparents et de mécanismes de redistribution équitables est cruciale pour éviter les détournements et assurer la confiance des acheteurs de crédits.
Le Renforcement des Capacités : Mesurer, rapporter et vérifier (MRV) le carbone séquestré nécessite une expertise technique pointue et des infrastructures que le pays doit encore développer. Un appui international fort est indispensable.
L’Inclusion des Communautés Locales : Le succès du projet repose sur l’adhésion des populations qui vivent dans et de la forêt. Leur consentement libre, informé et préalable, ainsi qu’une répartition juste des bénéfices, sont les clés pour que la protection de la forêt devienne leur intérêt premier.
La Concurrence sur le Marché : Le marché volontaire du carbone est compétitif. La RCA devra démontrer la haute qualité de ses crédits – c’est-à-dire leur intégrité environnementale et leur impact social positif – pour se distinguer.
Une Vision d’Avenir
Pour les autorités centrafricaines, le crédit carbone n’est pas une fin en soi, mais un moyen d’opérer une transition vers une économie verte. « Nous ne voulons pas seulement vendre du carbone ; nous voulons construire un modèle de développement où la forêt debout a plus de valeur que la forêt abattue. C’est une opportunité historique pour la Centrafrique de se reconstruire sur des bases durables », affirme un conseiller du ministère de l’Environnement.
En s’engageant résolument vers le crédit carbone, la République Centrafricaine envoie un signal fort à la communauté internationale. Elle démontre sa volonté de prendre sa part dans le combat climatique mondial, tout en revendiquant son droit à un développement juste. Le pari est audacieux, mais il porte en lui l’espoir d’une synergie inédite : préserver la planète tout en sortant son peuple de la pauvreté. L’œil du monde sera braqué sur Bangui pour voir si cette promesse verte pourra tenir toutes ses espérances.