
Dix ans jour pour jour après sa création juridique, la Cour pénale spéciale (CPS) de la République centrafricaine célèbre une décennie de lutte contre l’impunité. Instituée par la loi du 3 juin 2015, cette juridiction hybride a été pensée pour juger les crimes graves commis depuis 2003 sur le sol centrafricain. Si elle incarne un espoir de justice pour les victimes des conflits, son action reste jugée trop lente et incomplète continue de susciter un espoir pour une justice pour tous.
Une institution hybride pour une justice de transition, la CPS est composée de magistrats centrafricains et internationaux, elle est une juridiction inédite en Afrique centrale. Elle fonctionne selon une procédure mixte, inspirée à la fois du droit centrafricain et du droit international.
« La CPS est une réponse aux aspirations des victimes. Elle symbolise une volonté de rendre une justice indépendante, conforme aux standards internationaux », explique Gervais Bodagay, chef du département de la communication et des relations publiques à la CPS.
Dès sa mise en place, la Cour a reçu le soutien du gouvernement centrafricain. Le ministre d’État à la Justice, Arnaud Djoubaye Abazène, l’a rappelé récemment : « La justice constitue une pierre angulaire pour la paix, le développement et l’émergence d’un État. La CPS est un partenaire que nous accompagnons dans notre politique judiciaire. »
Bilan : un seul jugement définitif en dix ans
En dix années d’existence, la CPS n’a rendu qu’un seul jugement définitif. Il s’agit du procès des exactions commises par le groupe armé 3R à Koundjili et Lemouna en mai 2019, qui s’est soldé par la condamnation de trois accusés à des peines allant jusqu’à 30 ans de réclusion. Ce verdict, confirmé en appel en juillet 2023, reste un jalon symbolique dans l’histoire judiciaire du pays.
Le dossier a également marqué une première dans l’octroi de réparations aux victimes : En août 2024, la CPS a versé environ 19 millions de francs CFA à 41 personnes affectées, dans le cadre d’un fonds financé notamment par les États-Unis et d’autres bailleurs.
Outre ce procès, deux autres affaires sont en attente de jugement, dont celle de Ndélé impliquant quatre accusés, notamment Charfadine Moussa, pour des massacres de civils commis en avril 2020. Au total, 24 dossiers sont en cours d’instruction, et plusieurs mandats d’arrêt ont été émis, notamment contre des personnalités politiques et des chefs de groupes armés liés à la crise de 2013.
Un fonctionnement ralenti par de nombreux obstacles
Malgré ses avancées, la CPS fait face à de nombreux défis : la lenteur judiciaire car en dix ans, un seul procès a été mené à terme, ce qui suscite frustration parmi les victimes. Mandats d’arrêt non exécutés, sur plus de 60 mandats délivrés, seuls 4 ont été exécutés, souvent en raison d’interférences politiques.
Manque de moyens humains et financiers, de nombreux postes sont restés vacants, et l’institution dépend du PNUD pour sa gestion administrative. Pressions politiques, l’arrestation puis la libération illégale du ministre Hassan Bouba en 2021 a suscité l’indignation, révélant l’ingérence du pouvoir exécutif dans les affaires judiciaires.
La survie de la CPS dépend largement du financement extérieur. En novembre 2023, les États-Unis ont alloué 4,9 millions de dollars via le PNUD pour renforcer son mandat. En février 2025, la France a annoncé un don de 200 000 euros.
Ces soutiens sont essentiels mais insuffisants à long terme si la Cour ne parvient pas à renforcer son indépendance et sa crédibilité : « La CPS est un espoir pour les victimes, mais si elle continue à avancer aussi lentement, cet espoir pourrait se transformer en désillusion », avertit un responsable de la société civile à Bangui.
La CPS entre désormais dans un second mandat renouvelé. Ses responsables veulent accélérer les procédures, exécuter les mandats restants, sécuriser les témoins et renforcer la visibilité des procès à l’intérieur du pays. Une mission difficile, mais cruciale.
« La justice transitionnelle ne peut pas être expéditive, mais elle doit être crédible », rappelle une source judiciaire internationale à Bangui.
Dix ans après, la CPS est à la croisée des chemins : entre progrès symboliques et attentes toujours immenses. Pour de nombreux Centrafricains, la justice ne se mesure pas seulement en procès, mais en reconnaissance, en vérité et en réparation.