
« Quand un État pactise avec des milices ethniques pour sous-traiter la guerre, il prépare sa propre dislocation. »
Le gouvernement centrafricain, épaulé par les mercenaires russes de Wagner, avait choisi en 2023 de confier une partie de la guerre contre les rebelles de l’Union pour la Paix en Centrafrique (UPC) à une milice locale : Azande Ani Kpi Gbé (AAKG). Présentée comme une force d’autodéfense zandé, cette milice a été armée, formée, puis partiellement intégrée aux Forces Armées Centrafricaines (FACA).
Ce pari, hasardeux dès le départ, s’est mué en tragédie. Ce qui devait être un levier de sécurité s’est transformé en machine à tuer incontrôlable.
De chasseurs de rebelles à bourreaux de civils
Depuis 2024, AAKG n’obéit plus à personne. La milice s’est radicalisée, rompant même avec ses alliés militaires. Elle s’en prend désormais aux soldats FACA et surtout aux civils musulmans, accusés à tort ou à raison de complicité avec l’UPC.
Les exactions sont innombrables : exécutions sommaires, violences sexuelles, villages incendiés, déplacements forcés. Dans les zones de Mboki et Obo, l’horreur est devenue routine.
Une partie de la milice se revendique désormais comme « Wagner Ti Azandé » littéralement les « Wagner des Azandé ». Ces hommes, bien équipés, arborent les insignes russes avec arrogance et défient ouvertement l’autorité de Bangui.
Wagner, quant à lui, regarde ailleurs. Les mêmes mercenaires qui ont encadré l’AAKG semblent désormais incapables ou peu désireux de la freiner. Ce qui devait être un partenariat sécuritaire est devenu une délégation du chaos.
L’impasse stratégique de Bangui
Bangui est aujourd’hui prise au piège de ses propres erreurs :
Soutenir l’AAKG reviendrait à avaliser des crimes de guerre.
La désarmer par la force risquerait de provoquer un soulèvement armé contre l’État.
Le gouvernement n’a ni les moyens militaires, ni la crédibilité politique pour imposer une solution. La logique des milices a miné jusqu’au cœur de l’appareil sécuritaire.
L’ethnicisassions du conflit est désormais manifeste. AAKG cible les musulmans en tant que tels, avec une logique punitive et revancharde. Cela attise une haine communautaire qui échappe à toute rationalité militaire.
Loin d’être une « pacification », la création de cette milice a ouvert une nouvelle fracture dans un pays déjà en lambeaux interethnique larvée.
Silences complices, diplomaties muettes
Malgré les rapports accablants de la MINUSCA, des ONG et même de l’ONU, la communauté internationale reste atone.
Aucune sanction concrète. Aucune initiative diplomatique forte. L’UA, elle aussi, se montre spectaculairement absente.
Bangui, quant à elle, garde le silence. Comme si l’État lui-même craignait d’avoir à regarder le monstre qu’il a façonné.
L’affaire Azande Ani Kpi Gbé n’est pas une « dérive isolée » : c’est la conséquence directe d’un choix politique cynique, court-termiste et irresponsable. La sous-traitance de la guerre à des milices ethniques ne résout rien, elle ajoute le feu à l’incendie.
Sans rupture radicale avec cette stratégie du chaos sans désarmement, sans justice, sans réforme de fond, le Centrafrique court à sa propre désintégration.
La sécurité ne se construit pas sur des alliances toxiques. Elle se construit sur l’État de droit. L’AAKG en est la démonstration brutale.