
Bangui le 30 Septembre 2025, le président centrafricain, Faustin-Archange Touadéra, navigue actuellement entre deux eaux : celle du dialogue, qu’il présente comme la clé de la réconciliation nationale, et celle de l’action unilatérale, symbolisée par la convocation imminente des électeurs. Cette dualité crée une tension palpable dans le paysage politique centrafricain, laissant observateurs et acteurs politiques se demander quelle voie l’Exécutif emprunte réellement.
Le Souffle du Dialogue : Une Ouverture Attendue
Il y a quelques semaines, le gouvernement a initié un vaste dialogue politique national. Présenté comme une feuille de route pour apaiser les tensions et jeter les bases d’une paix durable, ce processus devait rassembler l’ensemble des forces vives de la nation, y compris une frange de l’opposition et des représentants de la société civile. L’objectif affiché était noble : discuter des réformes institutionnelles, de la gouvernance future et, surtout, des conditions de tenue des prochains scrutins.
Pour ses défenseurs, cette initiative était le signe d’une volonté présidentielle d’élargir le jeu démocratique et de désamorcer les crises par la parole. « C’est un pas dans la bonne direction. Le dialogue est la seule issue pour une sortie de crise durable », pouvait-on entendre dans les couloirs des hôtels où se tenaient les premières sessions.
L’Ombre du Décret : La Machine Électorale en Marche
Cependant, ce souffle de concorde a été brusquement confronté à la réalité du calendrier politique. Alors que les discussions se poursuivaient, le président Touadéra a signé un décret portant convocation du corps électoral pour les élections municipales et législatives de 2025. Ce décret, formellement nécessaire pour lancer le chronomètre électoral, a été perçu par beaucoup comme un coup de force, un acte unilatéral qui court-circuite l’esprit même du dialogue.
L’opposition la plus radicale et une partie de la société civile crient à la « mascarade ». Pour eux, le dialogue n’était qu’une façade, un « tribunal de la réconciliation » destiné à gagner du temps et à légitimer a posteriori des décisions déjà arrêtées dans les cercles du pouvoir. « Comment peut-on sérieusement parler de consensus sur les conditions du scrutin alors que le gouvernement active seul le processus électoral ? Cela décrédibilise tout le processus de dialogue », dénonce un leader de l’opposition sous couvert d’anonymat.
L’Analyse : Stratégie Calculée ou Incohérence ?
Cette situation place le président Touadéra dans une position délicate. Deux lectures s’opposent.
La première y voit une stratégie politique habile. En menant de front le dialogue et la préparation électorale, l’Exécutif garde le contrôle total du calendrier. Il montre une ouverture tout en maintenant la pression sur ses adversaires, les forçant à participer à une élection dont les règles sont largement dictées par le pouvoir en place. C’est une manière de diviser l’opposition entre ceux qui accepteront de jouer le jeu et ceux qui le rejetteront, affaiblissant ainsi un front commun.
La seconde lecture pointe une profonde incohérence, voire une incapacité à concilier la parole inclusive avec l’action décisionnaire. Elle révèlerait les divisions au sein même du camp présidentiel, entre les partisans d’une ouverture négociée et les tenants d’une ligne dure, favorable à une reprise en main sans concession.
Quelle Suite pour la Centrafrique ?
La balle est désormais dans le camp des participants au dialogue. Ceux-ci vont-ils poursuivre les discussions, estimant que c’est le seul forum où faire entendre leur voix, même affaibli ? Ou bien vont-ils se retirer, accusant le pouvoir de mauvaise foi et plongeant le pays dans une nouvelle impasse politique ?
La communauté internationale, particulièrement les partenaires comme l’ONU et l’Union Africaine, observe avec attention. Elle qui pousse pour des élections crédibles et inclusives se trouve face à un dilemme : soutenir un processus électoral lancé unilatéralement au risque de creuser les divisions, ou exiger un report pour achever le dialogue, au péril de l’instabilité.
En maniant à la fois la carotte du dialogue et le bâton du décret, le président Touadéra a allumé une mèche dont il ne contrôle peut-être pas entièrement la combustion. Les prochaines semaines seront décisives pour savoir si la Centrafrique s’engage sur la voie d’une sortie de crise négociée ou si elle replonge dans les affres d’une contestation électorale violente. L’équilibre est fragile, et l’ombre des conflits passés plane sur ce double jeu périlleux.