
Après la mort de Barthélémy Boganda, le 29 mars 1959, David Dacko devient à 29 ans, président de la République Centrafricaine. Le 13 août 1960, il proclame l’indépendance du pays, tournant ainsi la page à l’ère coloniale. Mais les défis sont nombreux car il faut combler au plus vite le vide laissé par les colons. Aussi dit-il faire appel au capitaine Jean-Bedel Bokassa, un vétéran de la guerre d’Indochine pour créer une armée républicaine.
Fort de sa longue expérience militaire sous le drapeau français, ce dernier décide de rentrer au pays pour former avec quelques anciens frères d’armes notamment ceux d’Indochine et de l’école des enfants de troupe général Leclerc de Brazzaville, l’ossature de ce que sera l’armée nationale centrafricaine, aujourd’hui appelée FACA. En 1964, il est nommé chef d’état-major de l’armée.
Peu de temps après, des dissensions éclatèrent entre lui et Jean Izamo, commandant de la gendarmerie suite au vote de budget alloué par la nouvelle Assemblée nationale, présidée par Michel Adama-Tamboux, à la gendarmerie, lequel était supérieur à celui réclamé à cor et à cri par l’armée. Finalement, Jean Bedel Bokassa qui, entre-temps a été élevé au grade de colonel, s’empara du pouvoir dans la nuit de la Saint-Sylvestre 1966.
Une fois à la tête du pays, le nouvel homme fort s’attaqua à la restructuration de l’armée, de la gendarmerie et de la police. Dans la foulée il créa à Bouar, (préfecture de la Nana-Mambere) l’Ecole supérieure de formation des officiers d’Active (ESFOA), sur le modèle de la prestigieuse académie militaire française de Saint-Cyr, puis l’école militaire des enfants de troupe Jean Bedel Bokassa (EMET), inaugurée le 27 septembre 1968 au camp Kassai et dont le premier directeur fut un français, le commandant Lascour. Le but de cette école, selon son fondateur était de dispenser gratuitement aux enfants orphelins de père, une instruction civique, générale et morale.
« Je veux inculquer à certains de nos enfants d’une manière plus marquante que les autres et dès leur jeune âge, le sens du devoir, de l’ordre, de la discipline, du travail… Je veux que ces enfants soient le levain de la pâte de demain… Que dès leur adolescence ils rayonnent parmi leurs camarades, et qu’arrivés à l’âge adulte ils soient des exemples pour tous… Qu’ils soient capables de se dévouer totalement au service du pays qu’ils auront appris à aimer. Capables, j’en suis persuadé, de commander, sachant obéir et connaissant la juste valeur de l’autorité, » a-t-il déclaré.
Dans le même temps, après plusieurs années de balbutiements, les relations avec l’ancienne métropole, la France, se renforcèrent avec l’élection en 1974 de Valery Giscard d’Estaing. Et pour cause, celui-ci, un passionné de chasse, a eu l’occasion d’effectuer, alors qu’il était encore ministre des Finances sous le régime de Georges Pompidou, des safaris dans le domaine de chasse présidentielle de Ndele, en compagnie de Jean Bedel Bokassa.
C’est pourquoi, dès son accession à la magistrature suprême, il a réservé sa première visite officielle (du 5 au mars 1975) à la République centrafricaine qui coïncidait avec le sommet de France-Afrique. Un honneur que le chef de l’Etat centrafricain a voulu mettre à profit pour tisser avec son homologue français des liens de parenté au point d’appeler VGE « Cousin ». Sensible à cette marque d’amitié naissante, Giscard d’Estaing invitera aux festivités du 14 juillet à Paris, les élèves de l’école militaire des enfants de troupe Jean-Bedel Bokassa (EMET).
C’est ainsi qu’une forte délégation de 80 membres conduite par Victor Teteya, secrétaire d’Etat à la présidence de la république, chargé de la presse présentielle, quitta Bangui dans l’après-midi du 10 juillet 1975 à bord d’un appareil de la compagnie Air Afrique affrété par la France à destination de Paris. Parmi eux, 66 enfants de troupe ayant à leur tête le directeur de l’EMET, le lieutenant Sylvestre Yangongo, le lieutenant Guillaume Lapo, chef de mission, et d’une équipe de la presse présidentielle composée entre autres de Fred Patrice Zemoniako-Liblakenze, (DG de l’Information), Gabriel Doyen (Directeur des services photo de la présidence)
Après l’accueil à l’aéroport militaire de Villacoublay, les enfants furent acheminés vers leur centre d’hébergement à St-Cyr. La journée du lendemain 12 juillet débuta par la visite de l’académie militaire de St-Cyr et du château de Versailles, suivie le 13 juillet de la visite de la ville de Paris avec ses somptueux sites touristiques.
Le 14 juillet, c’est le grand jour. Les enfants conduits en camion ont été déposés au Cours de Vincennes. Après la revue des troupes et les honneurs militaires, le président Valery Giscard d’Estaing a pris place à la tribune officielle, entouré de la 1ère Dame, Anne-Aymone, du 1er Ministre Jacques Chirac, du ministre de la Défense, Yvon Bourges, et du secrétaire d’Etat à la Défense, le général Bigeard.
Puis ce fut le coup d’envoi de ce grand défilé militaire, ouvert majestueusement par les élèves de l’EMET. Superbes dans leur tenue léopard, ceux-ci ont su, en tant qu’invités d’honneur, porter haut le flambeau de la République centrafricaine aux yeux du monde entier à ce défilé du 14 juillet retransmis en direct par Eurovision. Dans les tribunes et tout au long de l’imposante artère, depuis la Porte de Vincennes à la place de la Nation, le public parisien était émerveillé au passage de ces braves jeunes soldats de l’école des enfants de troupe Jean Bedel Bokassa, devenus pour la circonstance, les ambassadeurs du Centrafrique à l’étranger. Un triomphe qui restera à jamais gravé en lettres d’or dans les annales.
Dans l’après-midi, ils ont été conviés au traditionnel Garden-Party dans les jardins de l’Elysée où ils ont eu l’occasion de poser avec le président de la république, Valery Giscard d’Estaing aux côtés duquel on notait la présence du ministre-adjoint centrafricain de la Défense, François Gon, et du représentant de l’Ambassade de la RCA à Paris, Hubert Abendo, visiblement aux anges.
La suite de leur séjour s’est poursuivi jusqu’au 17 juillet par un déplacement en avion à Aulnat pour la visite de l’école de l’enseignement technique de l’armée de terre d’Issoire dans le Puy de Dôme et le Massif central.
C’est le 18 juillet 1975 que les élèves de l’école des enfants de troupe Jean Bedel Bokassa ont regagné Bangui avec la satisfaction d’une mission bien remplie au nom de la république. En 2000, l’EMET a fermé ses portes en raison des crises politico-militaires à répétition que le pays a connues.
Aujourd’hui, 50 ans après, le souvenir de ces valeureux enfants de troupe de l’EMET (voir la liste ci-jointe) reste vivace dans les esprits. La plupart d’entre eux sont morts mais ceux encore en vie, ont exercé à des degrés divers, des responsabilités dans la haute hiérarchie militaire centrafricaine.
Il s’agit notamment du général Ludovic Ngaifei, ancien chef d’etat-major de l’armée, général Jean-Pierre Doli-Waya, chef d’état-major particulier du Chef de l’Etat, général Thomas Tchimangoua, ancien ministre de la Défense pendant la Transition, actuellement chef d’état-major militaire à la présidence de la république, colonel Olivier Douguegoua, ministre conseiller du 1er ministre, Colonel Désiré Kossa, attaché de Défense à Washington (USA), colonel Gérald Makfoy, attaché de Défense au Soudan, général Thierry Lengbe, attaché de Défense à Kinshasa (RDC), général Alfred Service, ministre conseiller à la Primature, colonel Patrick Wako, chargé de mission à l’ANE, colonel Joseph Kette, chargé de mission à la JPN, général Jose Galoty, ancien chef d’état-major particulier de la présidente de la Transition, actuellement chargé de mission au ministère des Travaux publics, général Zéphirin Mamadou, actuel chef d’état-major d’armée, etc.
A noter que Philippe Ferreira, de son petit nom d’artiste Saladin, est un ancien enfant de troupe. Il a participé avec ses camarades au défilé du 14 juillet 1975 à Paris. A l’EMET il était le porte-drapeau, célèbre dans sa promotion pour le maniement de la canne major qu’il lançait et rattrapait au vol avec une dextérité inouïe à l’instar de leur instructeur, le lieutenant Janvier qui ouvrait les défilés militaires à Bangui du temps de Jean-Bedel Bokassa.