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Le processus électoral, censé être un instrument de consolidation démocratique, se transforme en une source d’inquiétude croissante en Centrafrique. En cause : l’Autorité Nationale des Élections (ANE), institution pourtant chargée de garantir des scrutins crédibles et transparents. Ses récentes décisions en particulier la convocation du corps électoral et la publication d’un calendrier électoral précipité ont mis en lumière des dysfonctionnements majeurs.

Ce constat est au cœur d’un communiqué publié le 30 septembre 2025 par le Bloc Républicain pour la Défense de la Constitution du 30 mars 2016 (BRDC), signé par son porte-parole, Martin Ziguélé.
Le 15 septembre 2025, l’ANE a surpris l’opinion en convoquant le corps électoral pour le 29 septembre et en annonçant l’ouverture du dépôt des candidatures dès le 2 octobre. À première vue, l’annonce pouvait sembler anodine : une étape administrative comme tant d’autres dans un processus électoral. Mais en réalité, elle soulève un problème fondamental.
La Constitution centrafricaine et le Code électoral sont clairs : la convocation du corps électoral relève exclusivement de la prérogative du président de la République. En s’arrogeant ce pouvoir, l’ANE franchit une ligne rouge et outrepasse ses compétences.

Cette initiative ouvre la porte à une contestation juridique sérieuse et alimente les soupçons d’une manipulation du processus électoral.
Au-delà du cadre légal, le calendrier annoncé par l’ANE ignore plusieurs étapes essentielles à la préparation d’élections fiables : la finalisation du fichier électoral, sa publication et sa vérification indépendante par les acteurs politiques et la société civile. En se précipitant ainsi, l’ANE fragilise davantage la confiance déjà vacillante des Centrafricains.
Le fichier électoral : une base fantôme
Au cœur de la méfiance généralisée se trouve le fichier électoral. L’ANE affirme disposer d’un registre de plus de deux millions d’électeurs. Mais ce fichier n’a jamais été rendu public. En l’absence de publication officielle, aucune vérification indépendante n’est possible.

Or, dans toute démocratie, la liste électorale constitue la pierre angulaire de la crédibilité d’un scrutin. Sans transparence, la convocation du corps électoral reste théorique. Comment mobiliser un électorat invisible ? Comment demander aux citoyens de croire en un processus dont les fondations sont dissimulées ?
Les standards internationaux qu’il s’agisse de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance ou des recommandations de l’Union européenne insistent sur l’importance de la transparence et du contrôle citoyen. En ignorant ces principes, l’ANE s’expose à de graves accusations de manipulation et jette un voile d’opacité sur tout le processus.
Une logistique irréaliste : trois scrutins en une journée
L’autre faille majeure réside dans la logistique électorale. Selon le calendrier esquissé, l’ANE entend organiser trois scrutins en une seule journée : présidentielle, législatives, locales.

Une entreprise titanesque, que même les démocraties les plus avancées peineraient à réaliser.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Un électeur bien informé met en moyenne 20 minutes pour accomplir son devoir civique : prendre ses bulletins, se rendre dans l’isoloir, voter puis signer la liste. Dans un bureau de 170 électeurs, il faudrait 56 heures pour que tous puissent voter. Or, une journée électorale ne dure que huit heures. Concrètement, seuls 36 électeurs pourraient voter.
Multipliez ces chiffres par des milliers de bureaux de vote et l’illusion de faisabilité s’effondre. Files d’attente interminables, désorganisation, électeurs découragés et exclusions de facto sont à prévoir. L’expérience d’autres pays africains montre que la multiplication des scrutins en une journée entraîne inévitablement des ratés, des contestations et, dans le pire des cas, des violences post-électorales.
La complexité logistique est aggravée par un facteur souvent négligé : l’analphabétisme.

En RCA, près de 67 % de la population ne sait ni lire ni écrire. Voter, pour ces citoyens, n’est pas une opération simple. Comprendre les bulletins, suivre la procédure, identifier les candidats : tout cela nécessite une assistance particulière.
Dans un contexte où trois scrutins seraient organisés le même jour, le risque d’exclusion massive est réel. Sans dispositifs d’accompagnement comme des bulletins simplifiés, des explications claires, des agents formés pour assister sans influencer des millions de Centrafricains pourraient être privés, de facto, de leur droit de vote.
Ignorer ce facteur, c’est transformer l’élection en un exercice purement formel, réservé à une minorité, et alimenter encore davantage la méfiance des citoyens vis-à-vis des institutions.
Chaque décision de l’ANE renforce l’impression d’une institution dépassée, incompétente et déconnectée des réalités du terrain. Le communiqué du 15 septembre ressemble davantage à une manœuvre de communication politique qu’à une étape sérieuse et rationnelle d’organisation électorale.
Depuis plusieurs années, l’ANE traîne une réputation d’inefficacité, marquée par des retards chroniques, des décisions controversées et une dépendance excessive vis-à-vis du pouvoir exécutif. Plutôt que de rassurer les citoyens, elle alimente les soupçons et fragilise le processus.
Le communiqué du BRDC, signé par Martin Ziguélé, insiste sur ce point : « Il faut rester calme, mais attentif et mobilisé. La démocratie ne se délègue pas. » Cet appel doit être entendu comme une exhortation à transformer la méfiance en énergie citoyenne.

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