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La Côte d’Ivoire entre dans une année électorale décisive, mais le jeu démocratique semble biaisé d’entrée de jeu. La publication de la liste électorale provisoire, le 17 mars 2025, a révélé une absence qui ne passe pas inaperçue : celle de trois figures majeures de la scène politique ivoirienne.

Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé et Guillaume Soro, autrefois poids lourds du pouvoir et de l’opposition, ont été exclus du processus. Faut-il y voir une simple application de la loi ou une manœuvre politique savamment orchestrée pour éliminer des adversaires redoutés ?

L’élection présidentielle d’octobre 2025 se tiendra donc sans ces trois hommes qui, qu’on le veuille ou non, ont marqué l’histoire politique du pays. Loin d’être anodine, leur éviction soulève des interrogations sur la vitalité démocratique ivoirienne et la volonté réelle des autorités d’organiser un scrutin inclusif et transparent.

Une exclusion aux allures de règlement de comptes

Officiellement, la Commission électorale indépendante (CEI) se retranche derrière une application stricte des textes en vigueur. La loi ivoirienne est claire : toute personne condamnée définitivement à une peine de prison est automatiquement radiée des listes électorales.

Laurent Gbagbo, bien qu’acquitté par la Cour pénale internationale, reste frappé par une condamnation nationale de 20 ans dans l’affaire du « casse de la BCEAO ». Charles Blé Goudé et Guillaume Soro, eux aussi condamnés, ne peuvent donc prétendre figurer sur la liste électorale.

Mais au-delà du strict cadre légal, l’exclusion de ces personnalités a tout d’une mise à l’écart stratégique. Il est difficile d’ignorer que ces hommes, chacun à leur manière, représentaient des alternatives crédibles à l’actuel pouvoir.

Laurent Gbagbo demeure un leader charismatique dont l’aura mobilise encore de nombreux électeurs. Charles Blé Goudé, son ancien lieutenant, continue de jouir d’une forte popularité auprès de la jeunesse. Quant à Guillaume Soro, son éloignement forcé du pays ne l’a pas empêché de conserver une base militante structurée.

Leur absence sur la liste électorale garantit de facto un paysage politique remodelé, où la concurrence est atténuée et les choix limités. Le jeu démocratique se retrouve ainsi amputé de certaines de ses contradictions naturelles, celles qui font la richesse d’une élection véritablement ouverte.

Un processus électoral sous tension

La CEI assure que le processus est transparent, que les règles sont connues de tous et qu’elles s’appliquent sans distinction. Mais l’opposition et de nombreux observateurs y voient une justice à géométrie variable. Les condamnations judiciaires ayant conduit à ces radiations sont-elles purement le fruit du droit, ou sont-elles l’aboutissement d’un système où la politique guide la justice ? La question mérite d’être posée.

Déjà, des voix s’élèvent pour dénoncer une élection verrouillée. Le Parti des Peuples Africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI) de Laurent Gbagbo crie à l’exclusion politique. Certains militants évoquent même un « coup d’État électoral » visant à réduire le champ des possibles et à assurer une transition sans heurts pour le pouvoir en place.

Face à cette situation, le risque est grand de voir la confiance dans le processus électoral s’éroder encore davantage. Une démocratie qui exclut, même légalement, ses opposants les plus influents peut-elle réellement prétendre à la légitimité populaire ? L’histoire récente de la Côte d’Ivoire nous a déjà enseigné à plusieurs reprises que les élections biaisées sont

Loin de se limiter à une simple querelle juridique, l’affaire de la liste électorale touche au cœur même du fonctionnement démocratique ivoirien. Si l’on accepte que la compétition électorale se joue sans certaines des figures les plus emblématiques du pays, alors l’élection présidentielle de 2025 pourrait ressembler davantage à une formalité qu’à un véritable exercice démocratique.

En excluant des candidats potentiels par le biais de procédures judiciaires discutables, le risque est de transformer la démocratie ivoirienne en un système verrouillé, où seuls certains acteurs triés sur le volet peuvent réellement participer.

Or, la démocratie ne peut être réduite à une affaire d’adhésion à un pouvoir en place. Elle doit être le lieu de l’alternance, du débat, et parfois même du tumulte.

Si l’élection présidentielle d’octobre prochain se tient dans ces conditions, sans contestation crédible et sans candidats représentant toutes les sensibilités du pays, quel en sera le véritable enjeu ? Une victoire dans un match dont les règles sont faites pour exclure certains adversaires est-elle réellement une victoire ? Ces questionnements poussent à la réflexion.

À quelques mois de l’échéance, la Côte d’Ivoire se dirige vers une élection dont la crédibilité est déjà mise en doute. La communauté internationale observe, la société civile s’inquiète, et l’opposition gronde. Le pouvoir, lui, semble sûr de sa stratégie. Mais l’histoire nous rappelle que les exclusions politiques, loin de garantir la stabilité, préparent souvent les crises futures. Si l’objectif est d’organiser une élection apaisée et légitime, alors l’heure est peut-être encore à la réflexion. Car une démocratie sans adversaires n’est, en réalité, qu’une illusion de démocratie.

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