0 6 minutes 4 semaines

Le 29 juillet 2025, le président ivoirien Alassane Ouattara a officialisé sa candidature à l’élection présidentielle prévue pour octobre, mettant ainsi fin à plusieurs mois de spéculations.

À 83 ans, le chef de l’État brigue un quatrième mandat, invoquant des raisons constitutionnelles, sanitaires et contextuelles : « Je suis candidat parce que la Constitution m’y autorise, ma santé me le permet et notre pays fait face à des défis majeurs », a-t-il déclaré. Cette annonce intervient dans un climat politique chargé et soulève des interrogations profondes sur l’état de la démocratie en Côte d’Ivoire, la légitimité institutionnelle de sa démarche, et les conséquences à moyen terme sur la stabilité nationale.

Une candidature juridiquement légale, mais politiquement controversée

Depuis l’adoption de la Constitution de 2016, le débat sur le nombre de mandats présidentiels autorisés reste source de divisions. Bien que ce texte réinitialise le compteur des mandats, permettant techniquement à Ouattara de se représenter, l’esprit de limitation du pouvoir voulu à l’origine est contesté. Déjà en 2020, sa candidature pour un troisième mandat avait suscité une vive controverse, entraînant des manifestations, des affrontements intercommunautaires et un lourd bilan humain.

En 2025, l’annonce d’un quatrième mandat relance ce débat démocratique. Les partisans de Ouattara rappellent qu’aucune disposition légale ne lui interdit de se présenter. Cependant, pour de nombreux observateurs et membres de l’opposition, cette logique juridique ne suffit pas à justifier une démarche perçue comme une monopolisation prolongée du pouvoir exécutif. Le risque, selon eux, est de banaliser la révision ou l’interprétation des textes constitutionnels au profit d’une gouvernance personnalisée, au détriment de l’alternance démocratique.

Le poids de l’héritage et la promesse de la stabilité

L’un des principaux arguments avancés par le RHDP pour justifier cette candidature repose sur le bilan de Ouattara. Depuis son accession au pouvoir en 2011, la Côte d’Ivoire a enregistré une croissance économique soutenue, une modernisation des infrastructures et une place renforcée sur la scène diplomatique régionale. Le président est crédité d’avoir redressé un pays sorti affaibli de la crise post-électorale de 2010–2011, marquée par plus de 3 000 morts et un profond traumatisme national.

À l’approche de la présidentielle de 2025, ses soutiens insistent sur la nécessité de préserver cet équilibre dans un contexte régional instable, où les coups d’État militaires au Sahel et les tensions au sein de la CEDEAO mettent à mal la gouvernance démocratique. Pour eux, Ouattara incarne l’assurance d’une transition maîtrisée et la continuité dans la gestion de l’État.

Cependant, cet argument de stabilité peut aussi être perçu comme une forme de dépendance politique à un homme fort, plutôt qu’à des institutions solides. L’absence d’un successeur désigné ou préparé au sein du RHDP renforce l’idée d’un vide politique dès que le président envisage de quitter le pouvoir, ce qui pose problème à long terme pour l’enracinement démocratique.

Le spectre d’un climat préélectoral tendu plane à nouveau sur la Côte d’Ivoire. En 2020, les violences liées au scrutin avaient révélé les lignes de fracture persistantes dans la société : ethniques, générationnelles, mais aussi régionales. Une nouvelle candidature de Ouattara pourrait exacerber ces tensions, notamment si les forces d’opposition perçoivent le processus comme verrouillé.

La participation d’une opposition crédible et l’organisation d’un scrutin transparent seront des conditions essentielles pour éviter un nouvel embrasement. Or, le terrain semble déjà marqué par la défiance : certains partis d’opposition ont dénoncé une mainmise sur les institutions électorales, la répression de figures dissidentes et l’absence de dialogue national réel. Le risque est que la candidature du président serve de catalyseur à une défiance généralisée vis-à-vis du système politique.

Au-delà de la personne d’Alassane Ouattara, c’est la question de l’alternance, du renouvellement politique et de la consolidation institutionnelle qui se pose. Si le président l’emporte à nouveau en octobre 2025, il devra, selon plusieurs analystes, s’engager fermement sur un calendrier de transmission du pouvoir et travailler à réhabiliter une culture politique fondée sur le pluralisme et la rotation des élites.

Dans un contexte où plusieurs dirigeants ouest-africains tendent à prolonger leur règne, la Côte d’Ivoire risque de se retrouver à contre-courant des aspirations populaires de démocratie et de renouvellement. Le paradoxe est donc le suivant : Ouattara se veut le garant de la stabilité et du progrès, mais son maintien prolongé au pouvoir pourrait nourrir à terme une instabilité politique larvée et fragiliser les institutions qu’il prétend défendre.

La candidature d’Alassane Ouattara à un quatrième mandat cristallise les tensions entre légalité constitutionnelle, désir de stabilité et exigences démocratiques. Si elle peut apparaître comme une réponse pragmatique aux défis du moment, elle pose aussi la question fondamentale de la construction d’une démocratie ivoirienne reposant sur des institutions fortes, capables de survivre aux hommes qui les dirigent.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *