
Mise à jour tardive des informations, fautes grossières, photos amateurs… Depuis plusieurs années, la communication officielle de la Présidence centrafricaine accumule les faux pas. Derrière ces défaillances, un système verrouillé par le ministre-conseiller Albert Yaloke Mokpem, qui concentre tous les leviers de diffusion. L’Afrique en Plus a enquêté au cœur de ce blocage, entre frustrations internes, plans de communication enterrés et intervention personnelle du président Touadéra pour tenter de redresser la barre.
À la tête de la première institution du pays, le Président Faustin-Archange Touadéra incarne l’image de la République centrafricaine sur la scène nationale et internationale. Mais derrière les discours officiels et les cérémonies protocolaires, un dysfonctionnement profond mine la vitrine médiatique de la Présidence.
Pendant plusieurs semaines, L’Afrique en Plus a enquêté sur la gestion de la communication présidentielle. Retards, publications approximatives, photos amateurs, manque de coordination… notre investigation révèle un système verrouillé et fragilisé par des tensions internes.
Une présence numérique éparpillée et confuse
La communication politique passe aujourd’hui par les réseaux sociaux. En RCA, la plateforme « Renaissance » est censée incarner cette vitrine numérique. Mais dès le premier coup d’œil, un constat saute aux yeux : l’existence de plusieurs pages Facebook non certifiées, au contenu inégal et parfois contradictoire.
Lors des obsèques du pape François, par exemple, la page officielle a diffusé des clichés visiblement capturés avec un simple téléphone portable. La qualité des images, granuleuses et mal cadrées, tranchait avec les standards attendus pour un événement diplomatique de cette envergure.
Pis encore : certaines légendes comportaient des imprécisions, voire des erreurs. Le même scénario s’est répété lors de la participation du président à une conférence de la communauté de crypto monnaie. Les photos publiées montraient essentiellement des selfies pris entre amis, plutôt que des clichés protocolaires mettant en valeur le rôle institutionnel du chef de l’État.
Les problèmes ne se limitent pas à l’esthétique visuelle. Plusieurs publications sont truffées de fautes d’orthographe et de grammaire. Les textes, souvent trop longs pour un usage efficace sur les réseaux sociaux, perdent en impact.
Autre lacune : l’absence de tag vers les institutions, partenaires ou médias concernés, ce qui réduit considérablement la portée et l’audience des publications. Dans un contexte où l’image présidentielle est un outil stratégique, ces négligences contribuent à affaiblir la communication officielle.
Un site internet à l’abandon
Si les réseaux sociaux sont mal gérés, le site internet de la « Renaissance » ne fait guère mieux.
La dernière mise à jour remonte au 25 juillet 2025, date à laquelle le président assistait aux obsèques de Mme Jocelyne Paulette Service. Pourtant, entre cette date et le 10 août, le chef de l’État a mené plusieurs activités majeures totalement absentes de la plateforme.
Les images publiées en ligne ne sont pas signées du logo officiel de la Présidence, ce qui soulève un double problème : absence de protection des droits d’auteur et manque de cohérence visuelle. Plus surprenant encore, le site utilise un sous-domaine au lieu d’un nom de domaine propre, pratique inhabituelle pour une institution nationale censée refléter l’autorité et la souveraineté.
Un contrôle centralisé et opaque
Selon plusieurs sources internes, ces dysfonctionnements trouvent leur origine dans une concentration excessive du pouvoir décisionnel. Le Ministre Conseiller en Communication, Albert Yaloke Mokpem, contrôlerait seul la page Facebook et le site internet.
« Il bloque tout le système », affirme l’un de nos informateurs, précisant que certaines images comme celles des obsèques du pape François ou de la conférence sur les crypto monnaies auraient été prises par un membre de la délégation, alors que l’équipe officielle de communication n’était même pas présente dans la salle.
Ce contrôle étroit étoufferait les initiatives. Les membres du service communication, même en déplacement avec le président, se retrouveraient parfois spectateurs, incapables de produire et diffuser en temps réel les contenus attendus.
L’un de nos interlocuteurs révèle qu’un plan de communication complet avait été élaboré par l’équipe, puis transmis au ministre pour validation avant présentation au président. Mais ce document n’aurait jamais franchi ce dernier obstacle.
De récentes nominations avaient pourtant pour objectif de dynamiser le service, en intégrant de nouveaux profils capables d’élever la qualité des productions. Mais faute d’autonomie, cette équipe ne pourrait pas exploiter ses compétences. « Tout passe par le ministre, et rien ne sort sans son aval », résume notre source.
Face à la répétition des erreurs et à l’inefficacité du système, la situation serait remontée jusqu’au bureau présidentiel. Selon une troisième source, Faustin-Archange Touadéra aurait convoqué Albert Yaloke Mokpem pour lui demander des explications précises sur les dysfonctionnements. Une injonction aurait été donnée pour « régulariser la situation » et remettre en marche une communication cohérente et réactive.
Si cette intervention présidentielle marque une prise de conscience au plus haut niveau, rien n’indique pour l’instant que la mise en œuvre soit effective. Le défi est autant technique qu’organisationnel.
Une image présidentielle fragilisée
Dans un contexte où la perception publique et internationale d’un chef d’État se joue aussi en ligne, ces failles peuvent peser lourd. Une photo floue, une faute d’orthographe ou un article publié trop tard peuvent entacher la crédibilité de l’institution.
Les grandes chancelleries, les investisseurs étrangers et les partenaires diplomatiques scrutent attentivement les communications officielles. L’amateurisme perçu peut influencer leur jugement sur le sérieux et la capacité organisationnelle de l’État.
Notre enquête montre que les problèmes ne tiennent pas seulement aux compétences techniques ou aux outils numériques. Ils relèvent surtout d’un problème de gouvernance interne : centralisation excessive, manque de délégation, absence de coordination entre les équipes et verrouillage de l’information.
Une communication présidentielle efficace repose sur trois piliers : Réactivité – Diffuser l’information au bon moment.
Derrière les murs du Palais de la Renaissance, la bataille de l’image présidentielle se joue chaque jour, souvent loin des caméras et des discours officiels. Dans un monde hyperconnecté, l’État ne peut plus se permettre une communication hésitante et brouillonne. En RCA comme ailleurs, la maîtrise du récit national et international dépend de la capacité à informer vite, bien et fort.
Aujourd’hui, le chantier est immense. Mais il commence par une décision simple : faire de la communication présidentielle un service au service… du président.