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Cette année, la fête nationale de l’indépendance de la République centrafricaine a pris une saveur particulière. Au-delà des célébrations officielles, Bangui a vibré au rythme des fourneaux, des débats et des rythmes musicaux grâce au lancement de la première édition du festival Kobe ti Beafrika. Organisé par l’association Yeti Kodro, l’événement s’est ouvert ce mercredi au Centre Protestant pour la Jeunesse (CPJ), dans une ambiance mêlant passion culinaire et fierté culturelle.

Pendant quatre jours, du 13 au 16 août, le festival entend faire rayonner le patrimoine gastronomique centrafricain tout en abordant les défis et perspectives liés à l’alimentation dans le pays.

L’agenda de Kobe ti Beafrika reflète l’ambition des organisateurs : combiner transmission des savoirs, réflexion collective et moments conviviaux. Ateliers pratiques autour des recettes traditionnelles, tables rondes sur la nutrition, conférences-débats animées par des experts et concerts en soirée composent un programme riche et varié.

Pour Mme Vinaha Doumgoto, présidente de Yeti Kodro, cette initiative répond à une double mission : « C’est une opportunité unique de mettre en lumière notre patrimoine culinaire, de valoriser nos produits naturels et de transmettre aux jeunes générations les connaissances et traditions qui y sont liées », confie-t-elle, visiblement émue lors de l’ouverture officielle.

Des débats sur les enjeux nutritionnels

L’un des temps forts de cette première édition est consacré aux discussions autour de la situation nutritive en Centrafrique. La diversité agricole du pays offre un potentiel important, mais les habitudes alimentaires, souvent influencées par des produits importés et transformés, fragilisent la santé publique.

Jean-Benoît Mandaba, nutritionniste et intervenant lors des tables rondes, rappelle que l’alimentation est un enjeu stratégique pour le développement : « La Centrafrique possède une richesse agricole exceptionnelle, mais nos habitudes alimentaires doivent évoluer pour répondre aux défis nutritionnels d’aujourd’hui. Manger local, c’est non seulement plus sain, mais aussi un acte économique qui soutient nos producteurs ».

Il insiste également sur la nécessité d’un meilleur accès aux denrées locales : « Nous devons créer des circuits de distribution efficaces pour que chacun, en ville comme en zone rurale, puisse consommer sainement ».

Les voix des artisans et producteurs

Au-delà des experts, les producteurs et artisans présents au festival expriment leur fierté de voir leur travail reconnu. Gervais Koyama, producteur de manioc dans la région de l’Ombella-M’Poko, explique : « Nos produits sont bons, mais souvent méconnus. Ici, je peux montrer comment on transforme le manioc en plats variés et nutritifs. C’est aussi l’occasion de rencontrer de nouveaux clients ».

Pour Marie-Claire Ndouba, artisane spécialisée dans les épices et condiments, la gastronomie est un vecteur d’identité : « Chaque plat raconte une histoire. Les épices que nous utilisons sont héritées de nos ancêtres. Les transmettre, c’est préserver notre mémoire collective ».

L’un des aspects originaux de Kobe ti Beafrika est l’espace dédié à la littérature culinaire. Des auteurs centrafricains y présentent leurs ouvrages retraçant l’histoire des plats traditionnels, leurs techniques et leurs significations culturelles.

Mme Doumgoto insiste sur cette dimension : « La littérature culinaire est une mémoire vivante. Elle raconte nos plats, nos techniques et notre culture. La mettre en valeur, c’est préserver notre identité ».

Clémentine Sanga, auteure d’un livre sur les recettes de la Lobaye, souligne que l’écriture est aussi un acte de transmission sociale : « Écrire sur notre cuisine, c’est aussi donner une voix aux femmes qui, depuis des générations, portent ce savoir dans leurs mains et leurs mémoires ».

Une ambition au-delà de l’événement

L’objectif des organisateurs ne s’arrête pas à ces quatre jours de festivités. Yeti Kodro souhaite que Kobe ti Beafrika devienne un rendez-vous annuel incontournable pour la gastronomie centrafricaine, attirant non seulement le public local mais aussi des visiteurs et professionnels venus d’autres pays.

Samuel Biringa, chef cuisinier invité du Cameroun, voit dans cette initiative un potentiel de rayonnement régional : « En Afrique centrale, nous partageons des cultures alimentaires proches, mais chacune a ses particularités. Ce festival peut devenir un lieu de rencontres et d’échanges qui fera connaître la Centrafrique à travers ses saveurs ».

Mme Doumgoto conclut avec détermination : « Nous voulons que ce festival soit un moteur de fierté nationale et un outil de développement pour nos communautés. La cuisine est un langage universel, et c’est à travers elle que nous pouvons raconter au monde qui nous sommes ».

Un pari culturel et économique

À travers Kobe ti Beafrika, Yeti Kodro mise sur un concept simple mais puissant : que la gastronomie ne soit pas seulement un art de vivre, mais aussi un levier économique et culturel. En rassemblant cuisiniers, producteurs, écrivains, chercheurs et grand public, l’événement ouvre la voie à une meilleure valorisation des ressources locales et à une prise de conscience collective sur l’importance de manger sain et local.

Dans les allées du CPJ, entre l’odeur du saka-saka fumant et le rythme des percussions, un mot revient souvent dans la bouche des participants : fierté. Une fierté de voir, enfin, la cuisine centrafricaine prendre la place qu’elle mérite sur la scène culturelle et gastronomique.

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