
À l’occasion du 65ᵉ anniversaire de l’indépendance de la République centrafricaine, le président Faustin-Archange Touadéra a prononcé un discours dense et ambitieux, mêlant hommage historique, bilan politique et projection vers un avenir profondément transformé. Devant la Nation, le chef de l’État a rappelé l’esprit du 13 août 1960, salué les sacrifices des pères fondateurs et présenté sa vision d’une Centrafrique pacifiée, économiquement indépendante et technologiquement avancée.
Le président a ouvert son allocution en rappelant la portée historique du 13 août 1960, jour où la Centrafrique a « choisi de se tenir debout, maître de son destin ». Touadéra a salué la mémoire de Barthélemy Boganda et de tous ceux qui ont œuvré « parfois dans l’ombre » pour la liberté et la dignité nationales. Selon lui, l’indépendance ne se limite pas à une déclaration politique, mais se construit et se défend au quotidien, par l’unité et le travail.
Le chef de l’État a insisté sur la nécessité de préserver cette mémoire comme source d’inspiration pour les générations futures, rappelant que « notre plus grande richesse n’est pas seulement dans nos ressources naturelles, mais dans notre unité ».
Un bilan marqué par la paix et la reconstruction
Touadéra a dressé un tableau des défis traversés depuis l’indépendance : coups d’État, rébellions, ingérences étrangères et divisions internes. Toutefois, il a insisté sur la résilience du pays, affirmant que « même dans les tempêtes, une nation peut rester debout ».
Il a souligné les progrès réalisés depuis son arrivée au pouvoir en 2016, notamment dans la sécurisation du territoire, grâce à la politique de dialogue et à la signature d’accords de paix, dont le plus récent, en avril 2025, a ouvert la voie à la dissolution complète des groupes armés. Le président a vanté le quadruplement des effectifs militaires en dix ans, la construction d’infrastructures de défense et le renforcement de la justice, de la police et de la gendarmerie.
Touadéra a également mentionné des avancées dans les domaines de l’énergie, des infrastructures, de la santé et de l’éducation, ainsi que la préservation du patrimoine culturel, illustrée par la récente participation de jeunes centrafricains à un événement à l’UNESCO.
La lutte contre la corruption et la gouvernance
Le président a placé la lutte contre la corruption au cœur de son message, dénonçant ses effets sur l’économie et la confiance publique. Il a réaffirmé le rôle central de la justice dans ce combat, tout en promettant la poursuite des réformes pour « garantir la paix, la sécurité, la cohésion nationale et le développement économique ».
Touadéra a présenté le Plan National de Développement 2024-2028, évalué à 12,8 milliards de dollars, dont deux tiers seront alloués aux investissements productifs. Les priorités incluent le capital humain, l’énergie, les infrastructures routières, la digitalisation, l’agriculture intelligente et la révolution énergétique.
Il a annoncé qu’une table ronde d’investisseurs se tiendra en septembre 2025 à Casablanca, sous l’égide du roi Mohammed VI du Maroc, afin de mobiliser des financements. Selon lui, « la liberté politique doit se doubler d’une liberté économique », et l’industrialisation est essentielle pour créer des emplois, notamment pour les jeunes et les femmes.
Dans un passage inattendu, le chef de l’État a dévoilé une vision de rupture : faire de la Centrafrique « la première nation décentralisée, tokénisée et numérique ». Présentée début août à Dubaï, cette initiative vise à utiliser la blockchain, la tokenisation et les technologies numériques pour moderniser la gouvernance, créer de la valeur et positionner le pays comme modèle d’innovation en Afrique.
Selon Touadéra, il ne s’agit pas seulement de bâtir un État moderne, mais de « sauter au-delà des limites des systèmes traditionnels » pour offrir à chaque citoyen une participation directe et sécurisée dans l’économie nationale.
Paix et échéances électorales
Le président a insisté sur l’importance de préserver la paix retrouvée, tout en se montrant ferme face aux « actes de grand banditisme » qui persistent. Il a tendu la main à l’opposition démocratique, l’invitant à participer au dialogue national.
À quatre mois des élections générales prévues en décembre qui, pour la première fois, regrouperont présidentielles, législatives et locales le même jour Touadéra a exhorté les Centrafricains à faire preuve de maturité politique et à privilégier les débats d’idées. Il a rappelé que la Constitution adoptée en août 2023 à 95,3 % s’impose à tous et impose de « garantir notre indépendance et notre souveraineté ».
Enfin, le président a adressé un message particulier à la jeunesse, saluant ses contributions à la paix, à la réconciliation et au développement. Il a affirmé travailler depuis 2016 à créer les conditions permettant aux jeunes de libérer leur créativité, notamment dans l’ère numérique.
Touadéra a conclu en appelant chaque Centrafricain à « apporter sa pierre à l’édifice », que ce soit dans l’éducation, la santé, l’économie ou la culture. Il a exhorté à renouveler l’engagement envers le pays et à faire du 13 août un symbole d’unité, de solidarité et d’espoir.
Le chef de l’État a donné rendez-vous à la population le lendemain pour assister à la parade militaire au camp Kassaï, avant de clore sur une bénédiction : « Que Dieu bénisse la République centrafricaine et son peuple ».
Ce discours, à la fois commémoratif et prospectif, confirme la stratégie de Touadéra : consolider la paix par le dialogue, moderniser l’économie par de grands investissements et positionner la Centrafrique dans la course mondiale à l’innovation numérique. L’évocation d’une « nation tokénisée » marque une ambition rare sur le continent, mais dont la réalisation dépendra des moyens techniques, de la stabilité politique et de la capacité à mobiliser partenaires et citoyens.
Dans un contexte international instable, l’accent mis sur l’unité, la vigilance et la retenue à l’approche des élections vise autant à prévenir les tensions qu’à renforcer la légitimité de son action. En filigrane, Touadéra cherche à inscrire son second mandat dans l’histoire comme celui du passage de la survie à la transformation structurelle du pays.