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La République Centrafricaine se consume à petit feu, non plus uniquement par les balles, mais désormais par les mots. Des mots venimeux, distillés quotidiennement sur les réseaux sociaux, qui attisent les divisions, sapent les fondements du vivre-ensemble, et préparent peut-être les conflits de demain. Pendant ce temps, l’État regarde ailleurs, désarmé ou complice par inaction.

Alors que les clivages ethniques, religieux et politiques n’ont jamais réellement été désamorcés depuis les dernières crises armées, une nouvelle guerre s’installe : celle des mots, des posts, des rumeurs, et des insultes virales. La jeunesse, souvent en première ligne, se laisse instrumentaliser par des groupes politiques, des influenceurs radicaux, voire par des intérêts étrangers. Des jeunes, frustrés par le chômage endémique, l’absence de perspectives, et le mépris des élites, deviennent à leurs tours vecteurs de haine, croyant souvent défendre une cause juste.

Mais au fond, qui leur tend la main ? Où sont les politiques publiques qui canalisent leur énergie vers la création, l’innovation ou le débat d’idées ? Elles n’existent tout simplement pas.

Le plus révoltant dans cette dérive numérique, c’est l’incapacité ou l’indifférence des autorités. Depuis des mois, les propos incitant à la haine pullulent, nommément contre des communautés, des figures politiques ou même des journalistes. Pourtant, aucune enquête sérieuse. Aucun procès exemplaire. Aucune régulation des plateformes. La liberté d’expression est brandie comme un paravent commode pour masquer une démission institutionnelle.

Mais de quelle liberté d’expression parle-t-on lorsque l’on laisse impunément prospérer des appels au meurtre, des menaces, et des campagnes de diffamation ? La République Centrafricaine a ratifié tous les textes internationaux en matière de droits de l’homme — soit. Mais la Constitution du 30 août 2023, censée incarner un nouvel élan démocratique, reste lettre morte dès lors qu’elle n’est pas défendue par des actes concrets.

Des élites silencieuses, parfois cyniques

Pendant que les réseaux sociaux se transforment en véritables champs de bataille, les élites politiques, intellectuelles, religieuses brillent par leur silence, ou pire, par leur hypocrisie. Certains responsables, dans l’ombre, alimentent ces tensions pour servir leurs agendas électoraux ou leurs ambitions personnelles. Le cynisme est total.

L’appel au calme lancé récemment par M. Rhosyns ZALANG NGATONDANG, président de l’AJEMADEC, est salutaire. Mais soyons lucides : il ne suffira pas de quelques déclarations bien intentionnées pour éteindre l’incendie. Le problème n’est pas seulement moral. Il est structurel, politique et systémique.

Il est temps de poser les vraies questions : Pourquoi les plateformes comme Facebook ou TikTok ne sont-elles pas soumises à des obligations de modération en Centrafrique ? Pourquoi l’éducation civique est-elle absente des programmes scolaires ? Pourquoi les radios communautaires, pourtant puissantes dans les campagnes, ne sont-elles pas soutenues pour faire contrepoids aux dérives numériques ? Pourquoi le Conseil national de la communication reste-t-il aussi muet qu’inefficace ?

Les discours de haine sont le symptôme d’un mal plus profond : la faillite morale et politique d’un État qui n’assume plus ses fonctions régaliennes. Si rien n’est fait, le pays risque de replonger dans une nouvelle spirale de violences, nourrie cette fois par les pixels, mais aux conséquences bien réelles.

L’heure n’est plus aux constats ni aux vœux pieux. L’heure est à l’action ferme, impartiale et coordonnée. Car si la jeunesse n’a pas les outils pour construire, elle continuera, malgré elle, à servir ceux qui veulent détruire.

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