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En République centrafricaine, le procès d’un homme semble cacher la compromission de tout un système. L’extradition d’Armel Ningatoloum Sayo, ancien ministre et chef rebelle, arrêté au Cameroun puis transféré à Bangui par un aéronef affrété par les hommes de Wagner, marque un tournant. Mais ce n’est pas nécessairement celui de la justice. Car pendant que Sayo est exhibé comme trophée d’État, d’autres criminels notoires, protégés par les mêmes réseaux militaro-politiques, circulent en toute impunité.
 Arrêté le 17 janvier 2025 à Douala alors qu’il tentait de rallier la France, Armel Sayo était sous le coup d’un mandat d’arrêt international. Ex-ministre de la Jeunesse (2014–2016), ancien négociateur à Khartoum en 2019, il a ensuite pris les armes à la tête du CMSPR (Coalition militaire pour le salut du peuple et le redressement), un groupe accusé de multiples exactions.

Il lui est notamment reproché : la tentative de coup d’État contre le régime Touadéra, le recrutement d’enfants soldats, des pillages de populations civiles, et des détournements de fonds publics durant son mandat.

Le Cameroun, longtemps hésitant, a fini par céder à la pression conjointe des autorités centrafricaines et de leurs soutiens russes. Ce transfert, organisé dans la plus grande discrétion depuis Yaoundé, s’est effectué à bord d’un avion opéré par les mercenaires russes de Wagner.

Le cas Hassan Bouba deux poids, deux mesures ?

Mais si l’arrestation de Sayo donne à Bangui une façade de fermeté, elle révèle surtout l’inégalité des traitements selon l’utilité politique des suspects. Le contraste est criant avec le cas d’Hassan Bouba, ex-chef de guerre de l’UPC, accusé d’être l’un des principaux responsables du massacre d’Alindao en 2018 (plus de 100 civils tués, dont des prêtres), et de nombreuses exactions à Bambari, Ngakobo et ailleurs.

Bouba a été interpellé en novembre 2021, avant d’être libéré en 48 heures sur intervention directe des mercenaires russes.

Aujourd’hui encore, il occupe un poste de ministre au gouvernement, protégé par des gardes russes, et jouit d’une immunité de fait.

L’un est sacrifié, l’autre glorifié. La justice centrafricaine applique une règle simple : elle poursuit ceux qui n’ont plus de protecteurs.

Justice confisquée, facteur d’un État capturé

Ce traitement différencié n’est pas une aberration : il est le symptôme d’une justice complètement instrumentalisée, asphyxiée par le politique, prise en otage par les militaires, et désormais soumise à l’agenda sécuritaire russe.

Depuis l’arrivée des mercenaires de Wagner en 2018, d’abord sous contrat gouvernemental, puis restructurés depuis la mort de Prigojine, la Centrafrique a peu à peu perdu sa souveraineté judiciaire.

Ces forces paramilitaires russes contrôlent non seulement des zones d’exploitation minière, mais aussi des segments entiers de la chaîne sécuritaire : protection rapprochée des dignitaires du régime, surveillance des opposants, influence sur les services de renseignement et… interventions directes sur des dossiers judiciaires sensibles.

La justice centrafricaine n’est plus un pouvoir, mais un service administratif sous contrôle armé.

L’affaire Sayo embarrasse aussi la France, accusée de l’avoir protégé discrètement pendant des années. L’analyse de son téléphone, saisie par les services camerounais, a révélé des contacts directs avec le député français Laurent Wauquiez, et une rencontre avérée avec l’ex-président Nicolas Sarkozy.

Ces connexions, qu’elles soient diplomatiques ou politiques, ont longtemps empêché son extradition, malgré les demandes répétées de Bangui.

Ce n’est que lorsque Paris a abandonné toute prétention d’influence en Centrafrique que le verrou a sauté. Aujourd’hui, la France se tait. Et Moscou avance ses pions.

Le procès à venir s’annonce donc moins comme une opération de justice que comme une démonstration de force.

Dépourvu de garanties procédurales, entouré de militaires, sans observateurs internationaux, le dossier Sayo pourrait vite devenir un procès de légitimation du régime Touadéra, plus qu’un lieu d’établissement de la vérité.

Aucune date officielle n’a encore été annoncée.

Mais les ONG locales dénoncent déjà l’absence de défense indépendante, l’accès restreint aux pièces de procédure, et l’absence de transparence sur les chefs d’accusation.

Une justice à rebâtir, ou à libérer ?

La République centrafricaine est-elle encore capable de produire une justice équitable ? La question n’est plus théorique. Elle est existentielle.

Une justice qui poursuit les opposants et protège les criminels proches du pouvoir est une justice morte. Une justice contrôlée par des forces étrangères est une justice étrangère à son peuple. Et une justice incapable de juger les véritables responsables des massacres n’est qu’un décor tragique dans le théâtre des puissants.

Le procès d’Armel Sayo peut et doit être un moment de vérité. Non pas pour glorifier l’État, mais pour en mesurer les failles. Non pas pour livrer un coupable désigné, mais pour juger en droit, avec preuves, défense, débats, et équité.

Sans cela, la Centrafrique continuera d’être un territoire sous influence, un État sans justice, et un peuple sans recours.

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