
Le silence de la République est assourdissant. Quand un journaliste est arrêté en pleine rue sans mandat, sans chef d’accusation, sans explication et que le pouvoir s’enfonce dans le mutisme, il ne s’agit plus d’un simple abus. Il s’agit d’un signal politique. Un signal clair que l’État centrafricain ne se contente plus de fragiliser la démocratie : il l’éteint méthodiquement.
Landry Ulrich Ngokpélé, Directeur du Quotidien de Bangui, est aujourd’hui la dernière victime visible de ce processus d’extinction progressive des libertés fondamentales.
Mais combien d’autres, moins médiatisés, moins protégés, ont déjà été muselés dans l’ombre ?
Ce que cette arrestation confirme, c’est que le régime actuel ne tolère plus la contradiction. Il ne compose pas avec la critique, il la traite comme une menace à éliminer. On ne gouverne plus par le débat ou la persuasion, mais par la peur, le contrôle, la censure.
La presse ?
Un corps étranger à neutraliser.
La société civile ?
Une nuisance à surveiller.
L’opposition ?
Une cible à décrédibiliser ou à broyer.
Ce glissement autoritaire n’est plus progressif. Il est assumé. Et c’est précisément cela qui le rend plus dangereux. Les apparences sont maintenues institutions, élections, discours sur l’unité nationale, mais l’essentiel a disparu : la liberté d’expression, la pluralité des voix, la justice indépendante.
L’autocratie avance à visage découvert
Ne nous y trompons pas : nous ne sommes plus dans une démocratie en difficulté. Nous sommes dans une démocratie piégée, confisquée, où l’illusion d’un régime représentatif cache de moins en moins mal une dérive autoritaire. Les garde-fous institutionnels sont devenus décoratifs. Les forces de l’ordre, censées protéger les citoyens, sont mobilisées pour traquer les voix libres.
Quand un journaliste devient une cible simplement parce qu’il fait son travail, c’est toute la société qui est mise en demeure de se taire.
Mais peut-être plus grave encore que la répression elle-même, c’est le silence complice d’une grande partie de la classe politique, de certains organes de presse, et même d’une frange de l’opinion publique, résignée ou paralysée. Ce silence n’est pas neutre. Il est un feu vert donné au pouvoir pour aller plus loin.
Aujourd’hui, c’est un journaliste. Demain, ce sera un enseignant, un syndicaliste, un simple citoyen critique sur les réseaux sociaux. La machine est lancée. Et si personne ne l’arrête, elle n’épargnera personne.
La liberté d’expression n’est pas un luxe. Ce n’est pas une faveur que l’État accorde. C’est un droit fondamental, le socle de toute démocratie digne de ce nom. Défendre les voix critiques, c’est défendre notre droit à tous d’exister autrement, de penser différemment, de résister.
L’heure n’est plus à l’attente. Il est temps de dire ce que beaucoup pensent tout bas : le Centrafrique n’est plus une démocratie. Il ne le sera à nouveau que lorsque les journalistes ne seront plus des cibles, mais des piliers reconnus de notre société.
Et cela commence par la libération immédiate de Landry Ulrich Ngokpélé. Et surtout, par la libération de notre droit de dire, “non”.