
En Centrafrique, le football se joue désormais loin des pelouses. Ce n’est ni un match ni un entraînement, mais un véritable pugilat institutionnel entre la Fédération Centrafricaine de Football (FCF) et le ministère de la Jeunesse et des Sports. Ce bras de fer tourne au vinaigre, mêlant règlements de comptes politiques, soupçons de corruption, ingérence manifeste et, en toile de fond, le spectre d’une suspension de la FIFA. Une chronique d’un naufrage orchestré à deux mains.
Un conflit à balles réelles. Tout a basculé après l’éclatant boycott du match amical contre la Tunisie par les Fauves A, en raison du non-versement de leurs primes après leur victoire contre la Mauritanie. Ce geste de protestation des joueurs, salué par de nombreux supporters comme un cri de ras-le-bol, a pourtant été qualifié par le ministre Héritier Doneng d’« insulte à la nation ». Pire encore, il s’en est pris à la fédération qui, dans un communiqué, appelait à l’ordre les joueurs une sortie que le ministre a fustigée comme étant un « outrage aux Fauves ».
Réponse cinglante du ministère : suspension de six mois de l’ensemble du bureau exécutif de la FCF, incluant son président Célestin Yanindji. Motif officiel ? Mauvaise gestion, absence de rapports, et déplacements internationaux sans autorisation. Mais tout ceci ne serait qu’un écran de fumée.
L’arrêté ministériel s’appuie sur des « textes statutaires » non précisés mais qui, selon plusieurs analystes et juristes sportifs, sont en contradiction avec les statuts de la FIFA, qui interdisent formellement toute ingérence politique dans les affaires d’une fédération nationale.
Pire encore, cette intervention survient au moment précis où l’Assemblée nationale a mis en place une commission d’enquête sur la réhabilitation du stade 20 000 places, dont une grande partie des fonds plus de 400 millions de FCFA semble avoir mystérieusement disparu. Coïncidence ? Difficile à croire.
La fédération, elle, accuse clairement le ministre d’orchestrer une manipulation politique visant à détourner l’attention de cette affaire embarrassante. Et dans la même veine, elle rappelle que le ministre n’a aucune qualité pour dissoudre une fédération affiliée à la FIFA, soulignant qu’un tel acte pourrait entraîner une suspension pure et simple du pays des compétitions internationales.
La vendetta Song et les dessous de l’autoritarisme sportif
En toile de fond, le dossier embarrassant du limogeage de l’ex-international camerounais Rigobert Song, brièvement annoncé comme entraîneur des Fauves avant d’être écarté par la fédération, illustre les tensions déjà existantes entre les deux entités. Le ministère, vexé de ne pas avoir imposé sa marionnette au banc des Fauves, semble prendre sa revanche avec une brutalité administrative que même les pays les plus autocratiques du continent hésitent à appliquer.
Ce chaos institutionnel met en péril plusieurs projets FIFA cruciaux pour le développement du football centrafricain, notamment le Centre Féminin de Litton PK22 et les écoles de football déjà engagées depuis des années. En voulant régner sans partage sur le football, le ministre Héritier Doneng ne fait que précipiter le pays vers une mise au ban internationale.
Car si la FIFA juge qu’il y a eu ingérence, la sanction est automatique : gel des financements, interdiction de participer aux compétitions, isolement total. Autrement dit, c’est toute une génération de footballeurs qui pourrait payer les frais de cette guerre d’ego et d’opacité.
Ce qui se joue ici dépasse le football. C’est une question de gouvernance, de respect des institutions, et surtout, de l’indépendance des structures associatives vis-à-vis d’un pouvoir exécutif qui confond de plus en plus gestion publique et règne personnel. L’État doit soutenir, encadrer, financer, mais non dominer les associations sportives au mépris des règles internationales.
La seule issue crédible aujourd’hui, c’est un arbitrage des plus hautes autorités de l’État, une enquête indépendante sur la gestion des fonds, et une médiation supervisée par la FIFA ou la CAF. Car ce « ping pong » absurde ne fait que miner le peu de crédibilité sportive que la Centrafrique peine à construire.
L’histoire jugera ceux qui auront pris en otage un sport censé rassembler une nation meurtrie. La balle est dans le camp du bon sens. Encore faut-il qu’il y ait des joueurs pour la recevoir.