
Depuis son arrivée au pouvoir en 2016, le Président Faustin-Archange Touadéra a fait de la paix son cheval de bataille. En près d’une décennie, pas moins de cinq accords majeurs ont été signés avec divers groupes armés en République centrafricaine. À première vue, cet activisme diplomatique pourrait donner l’image d’un pouvoir engagé, patient, et résolument tourné vers la réconciliation nationale.
Une lecture plus critique de cette stratégie politique, soulève une question essentielle : s’agit-il d’une quête sincère de paix, ou d’une gestion politique en statu quo sécuritaire devenu structurel face à une diplomatie de la paix en série mais sans fin ?
Depuis 2016, les accords s’enchaînent au rythme des insurrections. L’Accord de Sant’Egidio en 2017, la Déclaration d’entente de Khartoum en 2018, l’APPR de 2019, et plus récemment l’accord du 19 avril 2025 avec les groupes 3R et UPC. Tous promettent les mêmes objectifs : désarmement, cantonnement, réintégration des combattants, et surtout un cessez-le-feu.
Pourtant, chaque texte signé semble suivre un cycle identique : signature enthousiaste, relâchement de la pression militaire, puis reprise des violences dans un climat d’impunité.
Le plus emblématique, l’Accord politique de paix et de réconciliation de Khartoum (2019), avait réuni 14 groupes armés sous l’égide de l’Union africaine. Il devait « marquer un tournant historique ». Mais six ans plus tard, plusieurs signataires ont repris les armes, tandis que d’autres n’ont jamais réellement respecté leurs engagements. Pourquoi ? Parce que les accords centrafricains ne punissent jamais les violations. Ils les réintègrent, les reconduisent, et les rebaptisent dans de nouveaux textes.
Un autre aspect trop souvent éludé est la multiplicité des parrains internationaux : Russie, France, Union africaine, ONU, Soudan et Tchad qui rendent le processus complexe, fragmenté, et parfois instrumentalisé.
Les accords deviennent aussi des outils de légitimation politique, permettant au pouvoir en place de projeter une image de stabilité, utile pour les forums internationaux et les bailleurs de fonds. Mais sur le terrain, les populations continuent de fuir, de se battre pour survivre, pendant que les groupes armés profitent de la faiblesse de l’État pour asseoir leur emprise économique, notamment sur les ressources minières.
L’accord récemment signé avec les groupes 3R et UPC, deux des factions les plus militarisées et enracinées dans certaines régions, a été salué comme un pas en avant. Le Chef d’État-Major, Général Zéphirin Mamadou, a donné des gages de bonne foi et prévenu que les forces armées resteraient en alerte contre tout groupe réfractaire.
De son côté, le ministre de la Communication, Maxime Balalou, a appelé les autres groupes à « emboîter le pas », affirmant que le Président Touadéra s’inscrivait dans une logique de cohésion nationale. Mais ces déclarations, aussi volontaristes soient-elles, peinent à masquer une réalité : les mêmes groupes signent, violent, puis re-signent. Et chaque nouveau texte enterre le précédent sans en tirer de leçons.
Un État qui négocie à genoux ?
La répétition des accords traduit aussi l’aveu d’une impuissance structurelle de l’État centrafricain à imposer une paix par la justice ou la force légitime. Les négociations se font souvent à l’avantage des chefs de guerre, qui en sortent avec des postes, des immunités, ou des zones de contrôle officieuses. La paix, dans ce contexte, n’est plus une dynamique. Elle devient un marché.
Et tant que ce modèle prévaudra, les accords de paix ne seront que des pauses dans la guerre, et non des ruptures définitives avec elle.
La Centrafrique ne manque pas d’accords. Elle manque de cohérence, de volonté d’appliquer les sanctions, de mécanismes de suivi, et surtout de justice transitionnelle réelle. Si le régime Touadéra veut inscrire son nom dans l’histoire comme bâtisseur de paix, il devra cesser d’accumuler les signatures pour commencer à exiger des résultats mesurables. Sinon, l’histoire retiendra un pouvoir qui a « beaucoup signé » mais peu transformé.