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À Bangui, sur les places publiques, la confrontation entre camps politiques rivaux se répète, semaine après semaine. D’un côté, le BRDC coalition d’opposition réunie autour de la défense de la Constitution de 2016. De l’autre, des groupes dits “anti-BRDC”, régulièrement perçus comme pro-pouvoir. Entre les deux : un espace public transformé en champ de bataille symbolique, où chaque manifestation devient un test de force.

Ces affrontements ne sont pas anodins. Ils posent une question centrale : à qui appartient la rue dans une démocratie encore fragile ?

L’espace public devrait être un lieu de débat, un terrain neutre où s’expriment librement les citoyens. C’est ce que défendait Jürgen Habermas. Mais en Centrafrique, cet espace est de plus en plus militarisé, polarisé, et instrumentalisé. La parole politique y devient risquée. La contradiction y est perçue comme une provocation.

Le philosophe camerounais Achille Mbembe l’a bien dit : “Ce n’est pas le conflit qui menace la démocratie, c’est l’absence de règles partagées pour y faire face.”

La Centrafrique n’est pas seule dans ce piège. En Guinée, au Sénégal, au Burkina Faso, la rue est devenue le théâtre de luttes pour ou contre le pouvoir. Et partout, l’incapacité à dialoguer dans un cadre commun alimente la crise démocratique.

Quand les institutions (justice, presse, syndicats, universités) sont trop faibles pour arbitrer le débat, la rue prend leur place. Mais à quel prix ?

Sortir de cette spirale demande du courage politique et civique. Cela suppose que chaque acteur joue son rôle : Le pouvoir doit garantir la neutralité des forces de sécurité, cessé d’encourager les groupes de rue favorables au régime, et ouvrir un dialogue sincère avec l’opposition. Gouverner, c’est écouter la rue, pas l’étouffer.

L’opposition doit dépasser la posture purement critique. Protester, oui mais aussi proposer, structurer, et rassembler. Sans cela, elle risque de se couper du peuple. La société civile doit rester vigilante et indépendante. Elle ne doit être ni la caisse de résonance du pouvoir, ni celle de l’opposition. Elle peut devenir un tiers-médiateur crédible, porteur de parole et de paix.

Derrière cette polarisation se cache une crise plus large : celle de la légitimité démocratique. Chaque camp conteste à l’autre le droit même d’exister. Le patriotisme devient un outil de disqualification, chacun s’en revendique pour mieux exclure l’adversaire. Pendant ce temps, les institutions censées garantir la démocratie s’effacent, ou se politisent.

“Le pouvoir naît lorsque les hommes agissent ensemble, non lorsque l’un d’eux prend le dessus.” Hannah Arendt La Centrafrique ne manque pas d’énergie politique. Elle manque d’espaces sûrs pour que cette énergie ne se transforme pas en conflit destructeur. Le pays n’a pas besoin de vainqueurs, mais de citoyens capables de se comprendre malgré leurs désaccords.

La démocratie ne se construit pas dans le silence ni la peur. Elle naît du dialogue, même tendu. Elle exige des règles, de l’écoute, de la justice. “La paix n’est pas seulement l’absence de guerre, mais la présence d’une justice partagée.” Martin Luther King Jr.

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