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L’effondrement progressif de l’autorité de l’État en Centrafrique, se mesure à plusieurs indicateurs : insécurité chronique, absence de services publics, routes impraticables, et maintenant, un phénomène inédit qui en dit long sur l’abandon des populations par leurs dirigeants, la monnaie locale au détriment d’autres monnaies.

Dans la préfecture de la Basse Kotto, au sud-est du pays, le franc CFA, pourtant monnaie officielle, est devenu une denrée rare. À la place, les habitants se tournent vers le franc congolais, importé clandestinement de la République Démocratique du Congo (RDC) voisine, ou pire, pratiquent le troc. 

Cette réalité, rapportée par le Cardinal Dieudonné Nzapalainga et l’évêque d’Alindao, Mgr Cyr Nestor Yapospa, lors de leur mission pastorale, n’est pas un simple problème monétaire. C’est le symptôme visible d’un État en pleine déliquescence, incapable d’assurer une présence économique et institutionnelle sur l’ensemble de son territoire. 

Comment en est-on arrivé là ? Officiellement, la République centrafricaine fait partie de la zone monétaire du franc CFA, arrimé à l’euro et garanti par la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC). Mais dans la réalité, certaines régions du pays, comme la Basse Kotto, n’ont pratiquement plus accès à cette monnaie. 

Deux raisons principales expliquent cette situation. D’abord, l’état catastrophique des infrastructures routières coupe littéralement la région du reste du pays. Acheminer des marchandises y est une épreuve, et l’acheminement de liquidités en franc CFA encore plus. Ensuite, il n’existe aucun bureau de change officiel dans la région. Les banques sont inexistantes, les rares commerçants disposant encore de billets les gardent jalousement, et les circuits économiques formels se sont effondrés. 

Face à ce vide, la population s’adapte comme elle peut. Le franc congolais, bien qu’étranger, circule plus facilement grâce aux échanges transfrontaliers avec la RDC. Mais même cette solution alternative montre ses limites, car la devise congolaise devient elle aussi rare. Résultat : de nombreux habitants en reviennent à des pratiques dignes d’un autre âge, le troc, où les produits sont échangés directement faute d’une monnaie stable et accessible. 

Un État en faillite face à la détresse de son peuple

Ce phénomène n’est pas qu’un simple problème local. Il reflète l’incapacité des autorités centrafricaines à assurer leur mission fondamentale : garantir un cadre économique viable pour ses citoyens. 

Depuis des années, la RCA est en proie à des crises politiques et sécuritaires qui ont fragilisé son appareil étatique. Entre les groupes armés qui contrôlent de vastes portions du territoire et une administration publique quasi inexistante en dehors de Bangui, la situation en Basse Kotto est une conséquence logique de cette gouvernance chaotique. 

Ce n’est pas un hasard si l’Église catholique, souvent plus présente et plus organisée que l’État lui-même, est aujourd’hui la première à tirer la sonnette d’alarme : « L’abandon de cette région par l’État met en péril son avenir. Sans intervention rapide, la pauvreté va s’intensifier et la population sera encore plus vulnérable », avertit le Cardinal Nzapalainga. 

Mgr Cyr Nestor Yapopa, de son côté, insiste sur l’urgence de rétablir un minimum de présence étatique : « Il faut rouvrir un bureau de change et garantir la disponibilité du franc CFA. C’est un problème économique majeur qui menace l’unité nationale. » 

Loin d’être anecdotique, cette crise monétaire pourrait avoir des implications plus graves pour la souveraineté de la RCA. Quand un pays perd le contrôle sur sa monnaie, il perd une partie de son autorité. Déjà, certaines régions échappent au pouvoir central, contrôlées par des groupes armés ou sous influence étrangère. Si des pans entiers du pays commencent à fonctionner avec une monnaie étrangère, c’est un pas de plus vers une fragmentation économique et politique. 

Dans un contexte où la RCA peine déjà à imposer son autorité face aux ingérences internationales qu’elles viennent de puissances étrangères ou de groupes rebelles, l’incapacité à garantir la circulation de sa propre monnaie est un signe inquiétant. 

Quelle réponse des autorités ?

Face à cette situation, le silence du gouvernement est assourdissant. Alors que la Banque centrale devrait être en première ligne pour rétablir la circulation du franc CFA dans ces zones reculées, aucune mesure concrète n’a encore été annoncée. De même, la question des infrastructures, pourtant cruciale pour relier ces régions au reste du pays, reste un problème sans réponse. 

Si rien n’est fait, la crise monétaire en Basse Kotto pourrait s’aggraver et s’étendre à d’autres zones déjà fragiles du pays. La RCA peut-elle se permettre un tel effondrement économique et institutionnel ?   

Il est temps pour les autorités de sortir de leur inertie et d’agir. Redonner aux citoyens l’accès à leur propre monnaie n’est pas un luxe, c’est une nécessité vitale pour la stabilité du pays.

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