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Officiellement, elle s’adresse au Secrétaire exécutif national du Mouvement Cœurs Unis. Officieusement, elle vise bien au-delà. Dans une missive de 18 pages, dense, érudite et polémique, le professeur Alexis N’duï Yabela dénonce un « acte inacceptable et extrêmement grave » commis, selon lui, par le président du Conseil juridique du parti, Arnaud Djoubaye Abazène. Mais derrière le droit et les citations, se dessine une querelle politique qui dit beaucoup des tensions internes au MCU.

Les 25 et 26 juillet, Bangui accueillait le 2ᵉ congrès ordinaire du parti présidentiel. Deux jours d’unité affichée, d’allocutions officielles et d’acclamations. Mais pour N’duï Yabela, rapporteur général du Conseil juridique, l’événement a viré à la disgrâce.

En plénière, le 25 juillet, 96 candidats aux législatives sont validés « par acclamation » son nom figure pour la circonscription de Nola 1. Le lendemain, lors de la proclamation officielle, la liste tombe à 94 noms. Le sien a disparu, tout comme ceux de trois autres candidats : Mme Alime Aziza Soumaine (Ndélé 1), M. Nalimo Ayméric (Nola 2) et M. Pkangba-Worioba Crépin Valeur (Bossangoa 2).

Pour le professeur, l’affaire est claire : suppression « nuitamment » opérée par Arnaud Djoubaye Abazène, en violation des statuts et sans procès-verbal conforme.

Au cœur de l’affaire : Abdoulaye Hassane Pogola, désigné candidat MCU à Nola 1. Dans sa lettre, N’duï Yabela le décrit comme non-militant du MCU, dépourvu du baccalauréat, et détenteur d’une « fausse carte » de membre. Des accusations lourdes qui, si elles étaient établies, invalideraient sa candidature.

L’universitaire convoque les statuts du parti, le code électoral, et une série de références allant de Montesquieu à Molière. Sa ligne : le congrès est l’instance suprême, ses décisions ne peuvent être modifiées par aucune autorité inférieure.

« Primaire transparente », répond Nola

La riposte vient du bureau sous-fédéral de Nola : la primaire aurait été organisée « en toute transparence », en présence des représentants des trois candidats tous absents physiquement. Aucun recours n’aurait été enregistré. Abdoulaye Pogola, lui, affirme n’avoir jamais reçu de notification officielle de contestation. Dans cette version, c’est N’duï Yabela qui aurait cherché à invalider son adversaire en usant de sa position de rapporteur.

En plein congrès, des membres du bureau fédéral de Nola auraient approché Abazene pour défendre la régularité du primaire. Selon des témoins internes, le président du Conseil juridique aurait reconnu avoir été « induit en erreur » par N’duï Yabela et ordonné la reprise des primaires à Nola 1 pour départager les deux candidats. Une décision que le professeur refuse d’accepter, le considérant comme une violation des textes et une manœuvre politique.

Une lettre qui dépasse le cadre électoral

Ce qui frappe, c’est l’ampleur de la lettre : 18 pages qui s’éloignent parfois de l’objet initial pour aborder le système éducatif et judiciaire centrafricain. N’duï Yabela y dénonce un corps judiciaire « à la formation relativement légère », des avocats et magistrats aux connaissances « superficielles » des propos surprenants venant d’un ancien directeur de l’ENAM, école chargée de leur formation.

Pour certains, c’est une autocritique involontaire ; pour d’autres, une attaque voilée contre la politique éducative conduite par le pouvoir depuis une décennie. L’article qui relaie la lettre rappelle que N’duï Yabela a été nommé professeur par décret présidentiel, sans passer par le CAMES.

L’affaire Nola 1 ne tombe pas dans un vide politique. Elle intervient après des primaires où plusieurs figures ont mordu la poussière, dont Firmin Ngrébada à Boali et Kapkayen à Mbaïki. Autant de défaites qui montrent que le MCU n’est pas imperméable aux luttes internes. La querelle entre N’duï Yabela et Abazène agit comme un révélateur : derrière l’unité proclamée, les rivalités sont bien réelles, parfois au point de se régler publiquement.

Difficile de trancher : N’duï Yabela défend-il un principe de droit ou cherche-t-il à éliminer un concurrent redouté dans les urnes ? Ses détracteurs optent pour la seconde hypothèse, ses soutiens pour la première. La question de fond reste entière : dans le MCU, qui a le dernier mot sur les investitures ? Le congrès, en tant qu’instance suprême, ou les organes exécutifs capables de réviser les listes ?

Un risque d’image pour le MCU

En exposant ses divisions, le parti présidentiel prend le risque d’écorner son image d’unité. À quelques mois des élections, la reprise des primaires à Nola 1 devra être irréprochable. Mais au-delà, c’est la crédibilité interne et externe du MCU qui est en jeu. Si le parti ne parvient pas à gérer ses contradictions, ses adversaires n’auront aucun mal à exploiter ces fissures.

Officiellement, la lettre de N’duï Yabela vise le Secrétaire exécutif national. Mais par son ton, ses références et son ampleur, elle s’adresse aussi aux militants, aux cadres du parti et à l’opinion publique. Elle interpelle sur la gouvernance interne, la discipline et la transparence, tout en mettant en scène l’ego et la rivalité personnelle.

Dans cette affaire, la vérité n’est pas seulement juridique ou politique : elle se joue aussi dans la capacité du MCU à refermer ses rangs ou à s’enfoncer dans la spirale des querelles internes.

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