
La République centrafricaine s’achemine vers une séquence électorale sous haute tension. Alors que l’Autorité nationale des élections (ANE) a publié un chronogramme électoral controversé, l’opposition regroupée au sein du Bloc Républicain pour la Défense de la Constitution du 30 mars 2016 (BRDC) dénonce une « manœuvre dictatoriale » et un « hold-up électoral » orchestré par le pouvoir.
Le 2 septembre 2025, le BRDC a reçu une invitation officielle du Premier ministre, sur instruction du président Faustin Archange Touadéra, à participer à la cérémonie inaugurale du dialogue politique. Cet événement avait nourri l’espoir d’un compromis entre pouvoir et opposition, dans un pays marqué par des décennies de crises électorales et de coups d’État.
Mais la surprise fut de taille lorsque, dans le même temps, le gouvernement a validé la publication par l’ANE d’un chronogramme électoral.
Pour le BRDC, il s’agit d’un double langage intenable : « On nous convie à jeter les bases d’un dialogue politique sincère, puis on déroule parallèlement un processus électoral biaisé et dépourvu de légalité », a dénoncé Martin Ziguélé.
Selon lui, cette démarche révèle « la duplicité assumée du Président de la République », qui feint de tendre la main à l’opposition tout en consolidant un projet électoral unilatéral.
Des textes contradictoires au cœur de la crise
La critique du BRDC s’appuie sur une faille juridique majeure : la contradiction flagrante entre la Constitution promulguée en août 2023 et le Code électoral en vigueur.
La première consacre un ensemble de dispositions strictes, notamment sur l’accès aux fonctions électives. Son article 10 réserve explicitement la présidence et les hautes fonctions électives aux seuls Centrafricains d’origine, nés de parents eux-mêmes centrafricains. L’article 67 renforce cette logique en excluant les naturalisés de certaines responsabilités clés.
Or, l’ANE, lors d’une rencontre avec des formations politiques le 19 septembre au stade 20 000 places, a laissé entendre que les élections seraient ouvertes même aux naturalisés. Pour le BRDC, cette position viole de manière flagrante la norme suprême : « C’est une preuve supplémentaire de l’illégalité d’un code électoral bricolé, non conforme à la Constitution », fustige Ziguélé.
Le chronogramme électoral publié par l’ANE prévoit la convocation du corps électoral le 29 septembre 2025 par décret présidentiel. Mais pour l’opposition, ce corps électoral « n’existe pas », faute de listes électorales définitives. Cette absence est lourde de conséquences : en l’état, aucune élection ne peut être convoquée légalement. Dès lors, le calendrier de l’ANE devient, selon le BRDC, « anticonstitutionnel et caduc ».
Les inquiétudes sont renforcées par les révélations des experts de la MINUSCA, qui avaient fixé au 22 septembre la date limite pour passer les commandes de matériel électoral. Or, aucune commande n’a été enregistrée à ce jour : « Voilà une preuve supplémentaire du caractère irréaliste et improvisé de ce calendrier », martèle l’opposition.
Le spectre d’élections chaotiques
La République centrafricaine a déjà payé un lourd tribut aux scrutins mal organisés. De 1993 à 2016, rares sont les élections qui n’ont pas débouché sur des contestations, des violences ou des crises de légitimité. Le souvenir des scrutins de 2015-2016, organisés dans l’urgence et sous forte pression internationale, reste vif : si elles avaient permis un retour relatif à l’ordre constitutionnel, elles avaient aussi montré les limites d’un processus imposé sans consensus national. Pour le BRDC, persister dans la voie actuelle conduit droit vers une répétition de ce scénario : « Nous nous acheminons vers des élections chaotiques, aux conséquences désastreuses pour la stabilité du pays », avertit Martin Ziguélé.
Le BRDC lance un appel solennel au président Touadéra et à l’ANE : reconsidérer le processus électoral engagé. « L’impasse politique et juridique née de cette manœuvre est sans appel et requiert l’humilité », insiste Ziguélé.
Le regroupement estime que seules des élections reposant sur un fondement légal solide peuvent garantir la survie de la démocratie et du pluralisme politique. À défaut, le risque est grand de voir la République centrafricaine sombrer dans une « liquidation définitive de la démocratie ».
L’interpellation à la communauté internationale
Au-delà des critiques internes, le BRDC adresse une mise en garde ferme à la communauté internationale et à la MINUSCA. Selon Ziguélé, il est hors de question que des partenaires étrangers cautionnent, volontairement ou non, un processus « illégal » dont les failles sont désormais visibles de tous.
« Aucune forme de caution internationale ne sera tolérée pour un processus organisé en dehors de tout cadre légal », a-t-il déclaré, appelant plutôt les acteurs internationaux à soutenir un travail préalable d’harmonisation des textes électoraux.
Depuis sa création, le BRDC s’est donné pour mission de défendre la Constitution du 30 mars 2016, considérée comme l’héritage démocratique menacé par les révisions successives et par le pouvoir actuel.
La MINUSCA entre prudence et pression
La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA) se retrouve une nouvelle fois au centre du jeu. Depuis des années, elle joue un rôle clé dans l’accompagnement des processus électoraux. Mais sa position est délicate : trop de prudence pourrait être perçue comme une passivité, tandis qu’un soutien affiché au chronogramme de l’ANE serait interprété comme une caution à un processus vicié.