
La classe politique centrafricaine pourrait se retrouver dans une situation inédite, à en croire Me Crépin Mboli-Goumba, avocat et Coordonnateur du BRDC. Selon lui, l’application stricte de l’article 10 de la Constitution de 2023 pourrait rendre inéligibles tous les dirigeants actuels, y compris le président de la République, en raison des conditions strictes de nationalité pour accéder aux hautes fonctions civiles et militaires.
L ’article 10 de la Constitution, paragraphes 2 et suivants, stipule que : « la nationalité centrafricaine est soit d’origine, soit d’acquisition individuelle. Est Centrafricain d’origine, les personnes dont les parents sont eux-mêmes Centrafricains d’origine. Seuls les Centrafricains d’origine peuvent assurer les hautes fonctions civiles et militaires ».
Me Crépin Mboli-Goumba explique : « Le problème, c’est la définition de Centrafricain d’origine. Elle renvoie à des parents eux-mêmes nés Centrafricains d’origine. Or, la République Centrafricaine n’a acquis sa souveraineté qu’en 1960. Avant cette date, tout le monde était Français. Les registres d’état civil portaient la mention Afrique Équatoriale Française. Par conséquent, aucune personne née avant l’indépendance ne peut revendiquer des parents Centrafricains d’origine. »
Selon l’avocat, cette réalité historique pose un dilemme constitutionnel majeur : « Je suis Centrafricain d’origine car né après l’indépendance. Mais mes parents, nés dans le territoire de l’Oubangui-Chari, étaient Français. Ils ne peuvent donc être considérés comme Centrafricains d’origine. Ce sont mes enfants, eux-mêmes nés après 1960, qui pourront prétendre à ces fonctions. C’est le cas de toute la classe politique actuelle, y compris le président de la République. »
Un vide institutionnel sans précédent
La conséquence de cette lecture stricte est limpide : si l’article 10 est appliqué à la lettre, aucun dirigeant politique actuellement en fonction ne serait constitutionnellement éligible à l’exercice des hautes fonctions de l’État. Me Mboli-Goumba souligne que : « cette disposition, si elle n’est pas amendée, créerait un vide institutionnel majeur. Il n’y aurait pas de candidats légitimes pour la présidence ni pour la majorité des postes clés aux législatives. »
Selon lui, ce constat n’est pas une simple interprétation juridique : il s’agit d’une réalité historique qui découle de l’histoire de la République Centrafricaine, depuis le décret de 1903 qui institua le territoire de l’Oubangui-Chari, jusqu’à l’indépendance du 13 août 1960.
La faisabilité d’organiser quatre scrutins en une seule journée remise en question
Outre les questions d’éligibilité, Me Mboli-Goumba s’est également penché sur la faisabilité pratique des prochaines élections. L’Autorité Nationale des Élections (ANE) a annoncé l’organisation de quatre scrutins simultanés en une seule journée. Une annonce qui, selon l’avocat, relève plus de l’utopie que de la réalité.
« Chaque électeur a besoin d’au moins 20 minutes pour accomplir son devoir civique correctement, même en supposant qu’il soit instruit », explique-t-il. Dans un bureau de vote de 170 électeurs, cela signifie que seulement 36 personnes pourraient voter en une journée. Avec un taux d’analphabétisme de 67 % dans le pays, le temps réel nécessaire serait considérablement plus long. « Pour que tous les électeurs puissent voter de manière effective, il faudrait étaler l’élection sur plusieurs jours », conclut-il.
Les experts consultés par Me Mboli-Goumba corroborent son analyse. Selon eux, la simultanéité de quatre scrutins dans la même journée est logistiquement impossible, et risque de compromettre la crédibilité et la transparence du processus électoral.
Face à ces deux défis l’inéligibilité quasi générale de la classe politique actuelle et l’impossibilité technique de tenir quatre scrutins en une journée Me Mboli-Goumba appelle à une réflexion urgente : « Nous ne sommes pas prêts de sortir de l’écheveau touffu de notre Constitution. Il faudra soit adapter les critères de nationalité, soit réviser le calendrier et le mode d’organisation des élections, sinon nous courons à un blocage institutionnel sans précédent. »
L’avocat et résistant politique attire l’attention des Centrafricains sur l’urgence d’une prise de conscience collective. Pour lui, il s’agit non seulement de respecter la lettre de la loi, mais aussi d’assurer la continuité de l’État et la légitimité des institutions.