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À l’aube de l’année électorale 2025, la République centrafricaine se trouve à la croisée des chemins. Alors que des avancées notables en matière de sécurité et de diplomatie donnent l’illusion d’un retour à la normalité.

Le dernier rapport de l’Institut d’études de sécurité (ISS), « République centrafricaine : Une stabilisation toujours précaire », publié en septembre 2025 et rédigé par Romain Esmenjaud, dresse un constat plus nuancé. Selon l’analyse, la paix demeure fragile et les causes profondes du conflit restent largement intactes.

Depuis 2021, le gouvernement centrafricain a réussi à repousser les groupes armés vers la périphérie du pays, tandis qu’en 2024, la levée des embargos sur les armes et les diamants a été perçue comme un signe de reconnaissance internationale. Pourtant, ces avancées masquent une réalité complexe : l’État reste faible, les élites se disputent le pouvoir et les ressources, et la population, particulièrement dans les régions périphériques, continue de ressentir un profond sentiment d’abandon.

L’une des racines principales de l’instabilité en RCA est la faiblesse structurelle de l’État. Depuis l’indépendance, le pays a investi de manière limitée dans les services publics hors de la capitale, créant des « zones grises » où des groupes armés jouent le rôle de l’État, percevant parfois des impôts et fournissant certains services de base. Ces groupes, souvent financés par des activités illicites comme le trafic de diamants ou de bois, se présentent comme les porte-parole d’une population marginalisée, particulièrement dans le nord et l’est.

Les efforts de redéploiement de l’État restent encore timides et privilégient les zones déjà mieux dotées, telles que Bangui, l’Ouest et le Sud-Ouest. Cette marginalisation contribue à l’impression d’une inégalité structurelle, alimentant le ressentiment contre le pouvoir central. Le président Faustin-Archange Touadéra est accusé de concentrer les ressources et l’attention sur sa ville natale, Damara, et sur la capitale, au détriment des régions périphériques.

                            Un verrouillage politique qui nourrit la colère

Au-delà de la faiblesse de l’État, l’ISS pointe un verrouillage politique qui alimente l’instabilité. Les élites politiques, selon le rapport, considèrent le pouvoir comme un instrument de prédation des ressources nationales. Depuis 2023, le référendum constitutionnel ayant levé la limitation des mandats présidentiels, le régime actuel est accusé de favoriser ses proches et les membres de sa communauté pour des postes stratégiques, tout en restreignant l’espace civique par des poursuites judiciaires ciblées et la répression des figures de l’opposition.

La gestion économique et financière fait également débat. La mise en place d’un monopole dans le secteur des carburants attribué à une société liée à la famille présidentielle a suscité des critiques sur la corruption et le népotisme. Les retards de salaires, les pénuries de carburant et les coupures d’électricité et d’eau exacerbent le mécontentement populaire, laissant le pays vulnérable aux manœuvres de figures politiques ou militaires cherchant à exploiter ces frustrations.

Le rapport souligne que la stabilité apparente du régime repose largement sur le soutien de partenaires extérieurs, notamment la Russie et le Rwanda. Le groupe Wagner, présent en RCA depuis 2018, assure un appui sécuritaire et politique, tandis que le Rwanda a investi dans les secteurs minier et agricole et a joué un rôle crucial dans la contre-offensive de 2021 contre la Coalition des patriotes pour le changement (CPC). Ces partenariats ont permis de repenser les alliances traditionnelles et de renforcer temporairement le pouvoir de Bangui.

Pour autant, cette dépendance à l’égard de partenaires étrangers comporte des risques. L’appui militaire ne garantit pas la stabilité économique : la RCA reste fortement dépendante des institutions financières internationales et des bailleurs de fonds occidentaux pour financer ses dépenses publiques et rémunérer ses fonctionnaires. Cette situation impose un délicat équilibre entre sécurité assurée par l’Est et financement assuré par l’Ouest, un pari risqué qui pourrait se retourner contre le gouvernement en cas de crise ou de divergence d’intérêts.

Les élections locales, législatives et présidentielles prévues fin 2025 constituent un test décisif pour le pays. L’opposition menace de boycotter le scrutin si un dialogue politique et la réforme de l’Autorité Nationale des Élections ne sont pas garantis. Les tensions sont d’autant plus vives que certains groupes politiques et figures de l’opposition pourraient recourir à des moyens anticonstitutionnels pour contester le pouvoir, reproduisant un scénario déjà observé lors des précédentes transitions.

La situation sécuritaire, bien que stabilisée dans certaines régions, reste préoccupante. Les « hommes en armes » persistent, et la dimension transfrontalière des conflits, avec des ramifications au Soudan et dans les pays voisins, complexifie davantage la donne. Ces éléments pourraient converger pour transformer une année électorale ordinaire en une crise multidimensionnelle, mêlant politique, sécurité et économie.

Le rapport de l’ISS conclut que la RCA dispose d’une opportunité historique pour consolider sa paix et renforcer ses institutions. Cependant, le manque d’initiatives visant à résoudre les causes profondes de la crise faiblesse de l’État, verrouillage politique, dépendance aux partenaires extérieurs et frustrations populaires laisse planer le spectre d’une instabilité durable. Ignorer ces défis pourrait transformer les acquis récents en fragilité, relançant ainsi un cycle de crises qui menace non seulement le pays mais l’ensemble de la région.

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