Le procès d’Alfred Yekatom Rambo et de Patrice-Edouard Ngaïssona, jugés par la Cour pénale internationale (CPI) pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis en République centrafricaine entre 2013 et 2014, arrive à son terme après plusieurs années de procédures complexes. La semaine dernière, les parties impliquées dans le procès ont présenté leurs recommandations concernant les peines à imposer aux deux accusés, après une longue série d’audiences.
Bien que le verdict final ne soit pas encore rendu, ces dernières déclarations soulignent l’ampleur des crimes présumés et les attentes de la communauté internationale en matière de justice. Ici, la crédibilité de la CPI se joue.
Les crimes qui sont au cœur de ce procès s’inscrivent dans le contexte de la guerre civile qui a dévasté la République centrafricaine entre 2013 et 2014. Cette guerre a vu des groupes armés s’affronter violemment, notamment les forces de la coalition Seleka, principalement composées de combattants musulmans, et les milices anti-balaka, majoritairement chrétiennes. Ces derniers ont été accusés de nombreuses atrocités, notamment des massacres de civils musulmans, dans une campagne marquée par des exactions massives et une violence ciblée.
Alfred Yekatom Rambo et Patrice-Edouard Ngaïssona, deux figures importantes du groupe anti-balaka, sont aujourd’hui jugés pour leur rôle dans ces exactions. Yekatom, un ancien chef de milice, est accusé de crimes de guerre, de recrutement d’enfants soldats, ainsi que de violences et meurtres envers des civils, en particulier des musulmans. Ngaïssona, quant à lui, est accusé de complicité, ayant soutenu la milice à travers des financements et des liens avec les hauts responsables du mouvement, en particulier François Bozizé, l’ancien président centrafricain, et Maxime Mokom, un autre leader influent des anti-balaka.
« Des peines proposées »
Le procureur de la CPI, Mame Mandiaye Niang, a demandé des peines sévères pour les deux accusés. Pour Yekatom, il a requis une peine d’emprisonnement de 22 ans, soulignant son rôle de commandant et sa participation directe à la commission des crimes. Il a décrit Yekatom comme étant « animé par la vengeance », et a mis en avant les atrocités commises sous son commandement, notamment le recrutement et l’armement de milliers de combattants, y compris des enfants, pour attaquer des civils musulmans. Selon l’accusation, Yekatom savait parfaitement ce qu’il faisait et a contribué à la planification, la préparation et l’exécution de ces crimes.
Quant à Ngaïssona, l’accusation a requis une peine de 20 ans de prison. Le procureur a expliqué que, bien que Ngaïssona n’ait pas été directement impliqué dans la commission des crimes, il a joué un rôle clé dans leur facilitation, en soutenant financièrement et logistiquement les attaques de la milice anti-balaka. Il a également contribué à la rhétorique politique et ethnique de la guerre, notamment en collaborant avec Bozizé, ce qui a exacerbé les tensions et la violence.
Les représentants des victimes, qui incluent des familles de 1.673 personnes tuées et des milliers d’autres affectées par la violence, ont demandé des peines de 30 ans d’emprisonnement pour les deux accusés, insistant sur l’ampleur des souffrances endurées et sur l’importance de rendre justice pour les crimes commis contre des populations vulnérables.
« Un procès vide de sens selon la défense »
Les avocats de la défense ont fermement contesté les accusations et les preuves présentées par l’accusation. Dans un mémoire de défense de plusieurs centaines de pages, l’équipe de Yekatom a suggéré que le dossier de l’accusation était « fondamentalement vicié », en raison d’une mauvaise interprétation des événements et des motivations derrière la crise centrafricaine. Selon la défense, les accusations manquent de fondement solide, notamment l’absence de preuves directes liant Yekatom aux crimes qu’on lui reproche. Ils décrivent Yekatom comme un homme de paix qui a cherché à promouvoir la réconciliation et la cohésion sociale, en travaillant avec les autorités religieuses et locales pour rétablir l’ordre dans les régions dévastées par le conflit.
De même, la défense de Ngaïssona plaide qu’il n’a jamais été directement impliqué dans la planification ou l’exécution des crimes. Son avocat, Geert-Jan Alexander Knoops, a souligné qu’aucune preuve n’a démontré que Ngaïssona ait supervisé ou approuvé les actes de violence commis par les anti-balaka. La défense suggère que Ngaïssona est devenu un « bouc émissaire » dans un procès dont les motivations seraient davantage politiques que judiciaires, en pointant notamment l’abandon des charges contre d’autres figures de la guerre, comme Maxime Mokom.
« Le Rôle de la CPI et l’Appel à la Justice Internationale »
Ce procès revêt une importance capitale pour la justice internationale, car il envoie un message fort concernant la responsabilité individuelle face aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité. La CPI, bien qu’influente, fait face à des critiques concernant son efficacité et ses biais perçus, notamment en ce qui concerne la sélection des affaires qu’elle traite. Cependant, cette procédure judiciaire symbolise un pas important dans la lutte contre l’impunité et pour la reconnaissance des souffrances des victimes de conflits armés.
Les avocats des victimes ont insisté sur le fait que les crimes commis pendant la guerre civile centrafricaine n’ont pas encore été suffisamment traités par les autorités locales, et que la CPI doit jouer un rôle essentiel dans la réparation de ces injustices : « Les victimes de la République centrafricaine n’ont pas pu obtenir justice pour les crimes commis dans leur pays, et ce depuis des décennies. De telles circonstances ne font que perpétuer l’impunité et encourager ces cycles de violence », a déclaré l’une des avocates représentant les victimes.
Les experts estiment qu’il est peu probable que le procès se termine sans appel. En effet, quel que soit le verdict de la Cour, les avocats de la défense et les représentants des victimes ont déjà laissé entendre qu’ils pourraient contester les décisions. Le rôle de la CPI en tant que garant de la justice internationale sera mis à l’épreuve dans les mois à venir, et les décisions prises dans cette affaire auront un impact sur la crédibilité et l’avenir de la cour dans la poursuite de criminels de guerre à travers le monde.
En attendant, les juges de la CPI poursuivent leurs délibérations et devraient rendre leur jugement final d’ici la fin de l’année 2025, bien que de nouvelles audiences ou de nouvelles informations puissent prolonger la procédure. La communauté internationale continue de suivre de près cette affaire, qui pourrait marquer un tournant dans les efforts visant à rendre justice aux victimes des atrocités commises en République centrafricaine.