
Sous un soleil radieux de fin d’été, familles, proches et officiels se sont rassemblés vendredi 19 au cimetière du Père-Lachaise, dans le 20ᵉ arrondissement de Paris, pour commémorer les 170 victimes de l’attentat contre le DC-10 d’UTA, survenu le 19 septembre 1989. Trente-six ans après, l’émotion reste intacte et les questions sans réponse continuent de peser.
La cérémonie, organisée comme chaque année par l’Association française des victimes du terrorisme (AFVT), s’est tenue près de la stèle en marbre érigée dans la 93ᵉ division du cimetière. Sur ce monument, sont gravés les noms des passagers et membres d’équipage de 13 nationalités, morts lorsque l’avion reliant Brazzaville à Paris via N’Djamena a explosé en plein vol au-dessus du désert du Ténéré, au Niger.
Parmi les victimes figuraient de nombreuses familles, dont les Bouandji, Mana, Pambou, Mavoungou et Yepas-sis. Cette dernière a perdu trois de ses membres : Madeleine Louba Yepassis et ses filles Mireille, 9 ans, et Zena, 5 ans. Leur aînée, Olga, qui avait refusé de voyager, est aujourd’hui employée d’Air France à N’Djamena et a fait le déplacement pour honorer leur mé-moire. L’attentat a aussi coûté la vie à de jeunes passagers comme Gérard Brazza, 20 ans, ou encore à Hervé Granone, chef d’agence d’UTA à Ndjamena, qui rentrait en congés.
La cérémonie s’est déroulée en présence de Catherine Bertrand, vice-présidente de l’AFVT et rescapée du Bataclan, ainsi que de plusieurs représentants officiels, dont l’ambassadeur du Congo en France, Rodolphe Ada-da, et des consuls d’Italie, Paris Jacobo Albergoni et Bianca Longobardi. Après la lecture des 170 noms par leurs proches, une minute de silence et un dépôt de roses blanches ont scel-lé le recueillement. La mairie du 20ᵉ arrondissement a ensuite accueilli les participants pour un moment de partage autour d’un vin d’honneur.
Une vérité judiciaire inachevée
Dès 1991, l’enquête confiée au juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière avait conclu à la responsabilité de la Libye de Mouammar Kadhafi. L’attentat visait, selon les magistrats, à punir la France pour son engagement militaire au Tchad contre les forces libyennes, notamment dans la bande d’Aouzou. La bombe, dissimulée dans une valise, avait été chargée à Brazzaville avant d’exploser peu après l’escale de N’Djamena.
En mars 1999, la cour d’assises de Paris a condamné par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité six agents des services secrets libyens, dont Abdallah Senoussi, chef du renseignement militaire et beau-frère de Kadhafi. Mais aucun n’a purgé sa peine. Les mandats d’arrêt internationaux émis par la France et par la Cour pénale internationale sont restés lettre morte, protégés qu’ils étaient par le régime de Tripoli jusqu’à la chute du colonel en 2011.
Abdallah Senoussi a été arrêté en 2012 en Mauritanie, puis extradé en Libye, où il demeure détenu pour crimes de guerre liés à la répression du printemps arabe. Son nom apparaît également dans l’attentat de Lockerbie (1988), qui avait fait 270 morts à bord d’un avion de la Pan Am. L’artificier du régime libyen, Massoud, doit quant à lui être jugé aux États-Unis en 2026.
Des zones d’ombre persistantes
Si la responsabilité libyenne est établie, certains éléments nourrissent encore le doute. En 1986, une tentative d’attentat contre un appareil d’UTA avait déjà été déjouée à Brazzaville grâce aux révélations d’un opposant centrafricain, Claude Richard Gouandjia, qui affirmait avoir reçu une mission terroriste de Tripoli. Placé sous protection, puis exilé au Canada, il a témoigné auprès du juge Bruguière et du FBI, sans que toutes les implications régionales soient pleinement éclaircies.
Selon les actes du procès de 1999, la valise piégée avait finalement été remise à Apollinaire Mangantany, membre d’un mouvement d’opposition zaïrois. Contacté par deux émissaires libyens, il aurait transporté l’explosif à son insu avant de périr avec les autres passagers. Les diplomates libyens impliqués avaient quant à eux quitté précipitamment le Congo après l’attentat.
« Nous honorons la mémoire des victimes mais nous n’oublions pas que leurs assassins n’ont jamais été punis », confie un membre de l’AFVT.